Savoir peut ne pas tout changer

Abandonnée à la naissance, Shannon va grandir avec des questions qui vont devenir de plus en plus pressantes. Marjorie Celona signe une quête d’identité pleine de force et de grâce, où trouver sa place est déterminant.

Geneviève Simon

Une ombre furtive l’a déposée quelques heures après sa naissance aux portes d’un YMCA (Young Men’s Christian Association). Prématurée, emmaillotée dans un pull gris pouilleux, un couteau suisse pour seul trésor. Témoin de la scène, Vaughn sait qu’il n’aurait pas dû intervenir. Il confie pourtant l’enfant à qui de droit. Il n’oubliera jamais ces instants. Une ombre, un bébé, un témoin : trois êtres liés à jamais. Dès que son état le lui permet, la petite Shannon est placée en famille d’accueil. De violences en abandons, elle en connaîtra plusieurs, victime de motivations pas toujours louables. A cinq ans, elle est adoptée par Miranda, qui a déjà une fille, Lydia-Rose. Rivales ou complices, toutes deux vont devoir apprendre à partager une maman qui réserve à sa fille de sang des moments privilégiés. Un petit quelque chose en plus, pour les différencier malgré tout. D’autant qu’elle demeure une enfant "qui a des antécédents, qui pourrait présenter des besoins particuliers". Trop souvent, Shannon comprend qu’elle n’est pas à sa place dans cette famille. "La nuit je me sens si seule que mon cœur me fait mal."

"Je veux savoir qui est ma mère. Je veux savoir qui est ma vraie famille, où est ma place, pourquoi j’ai la tête que j’ai, pourquoi je me sens comme je me sens. Je veux savoir ces choses-là plus que tout au monde." Au fil du temps, ces questions vont prendre de plus en plus d’importance. Jusqu’au jour où, lasse des souffrances qu’elle s’inflige et après deux fugues ratées, Shannon frappe à la porte du YMCA. Et si quelqu’un se souvenait…

Empreint de grâce, d’une écriture sensible et maîtrisée, "Y" est le premier roman de Marjorie Celona (1981), qui a grandi sur l’île de Vancouver avant de s’installer à Cincinatti. "Y" parce qu’en anglais l’i grec se prononce "why" (pourquoi). Parce que c’est "un signe de la paix tête en bas". Parce que c’est la première lettre de Yula, le prénom de la mère de Shannon. Yula dont le destin émaillé de drames se déroule en alternance avec celui de Shannon, selon un procédé qui suscite la curiosité du lecteur. Yula qui était déjà mère à seize ans. Moins de deux ans plus tard, son ventre s’est de nouveau arrondi. Malgré les heurts de la vie, "Y" est riche de mains tendues et de bienveillance, de sagesse et de profondeur. Si connaître ses origines aide à comprendre qui l’on est, s’il n’est d’identité sans héritage, savoir n’est pas nécessairement réconfortant. Ni déterminant. Ni apaisant. Savoir peut ne pas tout changer.

Y Marjorie Celona / traduit de l’anglais (Canada) par Mona de Pracontal / Gallimard / 372 pp., env. 22,90 €

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