"Si tu cries, je te tue"

De Caroline Lamarche, le récit à l’écriturela plus maîtrisée. Art pur.

Francis Matthys

Quelques mois après la publication aux Impressions Nouvelles de "Mira" (qui réunit trois fictions à l’extrême puissance suggestive, dont l’effarante "Barbière"), Caroline Lamarche - réintégrant la prestigieuse collection blanche de Gallimard - nous livre un récit tout de froid et de braise, d’une admirable maîtrise d’écriture. Pas un gramme de trop, pas un. Economie, mais non sécheresse : étant poète, donc serrurière des âmes, il suffit à Caroline Lamarche d’un trait, d’un seul, pour ciseler un rubis.

Parlant d’une araignée dont une cigarette a mis la toile en feu, la contraignant à nettoyer son terrain, elle écrit : "Nuit après nuit, manger de la cendre". Sept mots, et cette cendre on la sent. Elle teinte "La mémoire de l’air" où la nouvelliste du "Jour du chien" (Editions de Minuit, 1996, et prix Rossel) déroule un monologue qui, en version plus brève, fit l’objet d’une lecture par Dominique Blanc durant le Festival d’Avignon en juillet 2012.

Dans le premier volet, une femme qui n’a ni prénom ni nom (inimaginable chez Duras) résume les sept années passées avec un homme ténébreux pour qui ne comptaient qu’écrire et faire l’amour; il écrit, il écrit, mais nul livre n’en naît. La force de la romancière des "Carnets d’une soumise de province", c’est d’éclairer les riens qui tissent les vies alors que s’égoutte le temps qui nous éteint sans bruit, seconde après seconde.

Dans la seconde partie, prodigieusement juste de ton et dénuée de pathos, la narratrice conte le viol qu’elle a subi, vingt et des ans plus tôt, qui lui tatoua la mémoire d’un "Si tu cries, je te tue" alors qu’elle s’en allait chercher ses deux filles à l’école. Un rouge et gris récit de souffrance, d’une grave beauté. Dialogue entre une (sur)vivante et une morte vue en rêve. Mais au sortir d’un rêve, ne survivons-nous pas aussi au rêve ? Mystère.

La mémoire de l’air Caroline Lamarche Gallimard 104 pp., env. 11,50 €

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