La révolution de l’amour
Le philosophe Luc Ferry retrace "La plus belle histoire de la philosophie".
Publié le 08-02-2014 à 13h10 - Mis à jour le 10-02-2014 à 10h39
Il advint peut-être que Luc Ferry se fourvoyât un jour en politique mais le philosophe est demeuré à la fine pointe de son art. Dans une brillante collection des éditions Robert Laffont, il publie avec Claude Capelier "La plus belle histoire de la philosophie" qui, pour être dense, n’en est pas moins remarquable.
De l’Antiquité à nos jours, l’intellectuel distingue cinq grands moments. "Le propre de l’histoire de la philosophie, comme de l’histoire de l’art d’ailleurs, c’est que les périodes nouvelles n’effacent pas les anciennes. Les mondes anciens ne sont pas obsolètes." Ainsi y eut-il la philosophie grecque, puis l’âge judéo-chrétien, le premier humanisme à la Renaissance, le temps de la déconstruction avec Nietzsche, et enfin le deuxième humanisme qu’il nomme également la révolution de l’amour.
Le fil conducteur de ces différentes séquences passe par "une vie bonne pour les mortels", ce qui constitue le sens même de la philosophie, en dehors de la connaissance et de la morale, la vérité et le bien. Au fond, résume-t-il, le premier grand moment, dont Ulysse à Ithaque fournit la matrice, représente l’harmonie avec l’ordre cosmique.
Ensuite vint l’histoire chrétienne, harmonie avec le divin. Puis, grand moment avec Kant, survint l’harmonie avec l’humanité. Nietzsche, lui, fera naître la vie intense et libre en cassant les idoles selon un nihilisme qui lui est absolument propre et la fameuse "philosophie au marteau". Il s’agit alors de gommer les illusions de la religion et de la métaphysique. Paul Ricœur, à cet égard, baptisera Nietzsche, Freud et Marx comme les "philosophes du soupçon".
Enfin, Luc Ferry discerne une cinquième grande époque qui lui appartient assez singulièrement. L’humanité, prétend-il, assiste à une révolution de l’amour qui vient s’ajouter à l’avènement du droit et de la raison. Cette nouvelle sagesse s’illustre en effet par le mariage d’amour, véritable nouveauté de l’après-guerre, car jamais jusque-là l’institution matrimoniale n’avait eu véritablement partie liée avec le sentiment et la passion. À quel titre la sphère collective - par l’humanitaire notamment - est tout aussi transformée que la sphère privée. Il en veut pour preuve aujourd’hui le mariage gay, qui ne suscite à ses yeux guère plus que des réactions d’hostilité marginales.
"Nous vivons à présent dans un monde de l’innovation permanente, qui se vérifie tant dans les technologies que dans la mode, l’art contemporain, le roman ou les mœurs. Les mœurs du XXe siècle marquent une rupture totale avec le passé. Et je comprends que les gens soient horrifiés par ces bouleversements permanents. On a cassé toutes les règles, on a déconstruit tous les classiques. En quoi l’on peut dire effectivement que l’innovation est destructrice. On vit mieux qu’avant mais cette liberté est effrayante. La liberté et l’amour sont plus difficiles à vivre que la tradition."
Le sacré, conclut-il, s’est incarné dans l’humanité; il nous fait entrer dans une nouvelle transcendance de l’être aimé. La politique et l’histoire de la famille s’en trouvent radicalement modifiées.
La plus belle histoire de la philosophie Luc Ferry (avec Claude Capelier) Robert Laffont 444 pp., env. 21,50 €