Les coquelicots de la guerre
Marianne Sluszny évoque la vie d’anonymes au destin en une seconde fracassé.
Publié le 21-02-2014 à 11h53 - Mis à jour le 24-02-2014 à 13h50
Mouloudji chantait déjà, autrefois, ces p’tits coquelicots que forment, un matin triste, quelques gouttes de sang reçues à la place d’un cœur qui ne demandait qu’à battre. Et vivre. Et aimer…
Reprenant cette image à son compte, c’est tout un bouquet de coquelicots que Mariane Sluszny a assemblés pour nous dire l’horreur de ces guerres où, en une seconde, "des êtres qui avaient aimé, embrassé, ri et pleuré étaient broyés, déchiquetés", ne laissant derrière eux que larmes, misère, désespoir. Et indignation. Mais, dans le contexte du centième anniversaire qui se profile de la guerre de 14-18, c’est à ce moment particulièrement cruel de notre histoire - prologue à bien d’autres conflits - qu’elle se réfère pour donner une voix et un visage à ces hommes et ces femmes, pour la plupart restés anonymes. Victimes obligées de combats qui brisèrent de manière détestable leur destin en promesse, elles avaient une vie bien à elles et n’étaient d’aucune manière les êtres abstraits sacrifiés dans la masse et vite oubliés que nos mémoires ont forgés.
C’est d’ailleurs, symbole anonyme s’il en est, le soldat inconnu qui inspire la première des nouvelles composant ce livre de reconnaissance humaine et de dénonciation d’une inadmissible barbarie. Marianne Sluszny est Belge. Elle vit à Bruxelles où, productrice de documentaires culturels à la RTBF, elle a compulsé des archives, durant trois ans, pour une série d’émissions sur la Grande Guerre qui seront diffusées au printemps qui vient. C’est dire si elle s’est confrontée au sujet qu’elle observe dans cette partie de la Belgique où les morts et les destructions furent les plus nombreux. Du jeune instituteur qui n’aura connu qu’un fugitif plaisir d’amour physique au musicien qui découvre que les cris de douleur et les canonnades à répétition avaient fait de lui "un animal qui ne songeait qu’à sauver sa misérable peau", de Jeannette qui se prostitue avec un Allemand pour nourrir sa fille à Frans, qui, épris de sa Flandre, comprenait que les fatigues et les blessures de son compagnon francophone n’étaient pas moins pénibles que les siennes ou à Albert, le Congolais marié à une Belge et heureux père de quatre garçons, c’est l’humain qui traverse ici l’inhumain d’une tragédie bestiale où l’éphémère fragilité des coquelicots rappelle celle de toute existence.
De courtes histoires simples, sans recherche d’effets mais lourdes d’un poids de réalité qui n’a jamais fini de resurgir. Hier et maintenant. Ici et ailleurs.
Un bouquet de coquelicots Marianne Sluszny Ed. de La Différence 120 pp., env. 15 €