Rohmer dans la compagnie des femmes
Cette biographie critique raconte la vie de Maurice Schérer, père de famille catholique plutôt coincé… … et connu des cinéphiles sous le nom d’Eric Rohmer.
Publié le 21-02-2014 à 11h52 - Mis à jour le 24-02-2014 à 11h25
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L’actualité ne faiblit pas autour d’Eric Rohmer. Après l’intégrale de son œuvre en 27 dvds (chez Potemkine/Agnès b.), voici la biographie d’Antoine de Baecque et Noël Herpe, un modèle du genre puisque tout en racontant une vie, on analyse chaque film dans le détail.
Nous avons rencontré l’un des auteurs, Noël Herpe, pour évoquer celui qui est, avec François Hollande, l’autre enfant célèbre de Tulle en Corrèze. "Le Président aime beaucoup Rohmer", précise Noël Herpe. "Il a cité
La brique de 600 pages s’appelle sobrement "Eric Rohmer, biographie". Elle aurait très bien pu paraphraser un titre célèbre : Ne dites pas à ma mère que je suis réalisateur de films, elle me croit professeur dans un lycée. C’est que, décédée en 1970, Madame Schérer a toujours ignoré que son fils Maurice était un cinéaste mondialement connu sous le nom d’Eric Rohmer.
"On a posé la question à Thérèse Schérer, l’épouse d’Eric Rohmer", raconte Noël Herpe. "On lui a demandé ce qui se serait passé si elle avait appris que son fils faisait du cinéma. Elle nous a répondu : "cela l’aurait tuée". Ce devait être une femme très spéciale. Sa seule ambition pour ses enfants, c’était l’enseignement. Elle est morte en 1970 alors qu’Eric Rohmer devenait célèbre après ses deux grands succès
En quelque sorte, Eric Rohmer vivait la vie imaginaire et interdite à Maurice Schérer, coincé par son éducation.
"Ce cloisonnement n’était pas destiné à cacher un secret, un scandale. Tout ce qu’on a découvert, ce sont ses amitiés politiques un peu discutables mais, la tête sur le billot, je peux affirmer qu’il n’a jamais trompé sa femme. Même s’il a été tenté et si certaines actrices auraient bien voulu le pousser jusqu’au péché. Jouer avec le feu, c’est très catholique. Toucher le genou lui suffit. Je pense que Rohmer n’était pas très intéressé par le sexe, il préférait regarder et donner à voir la beauté des très jeunes femmes. C’était pour lui une ivresse qui se suffisait à elle-même. Tout son érotisme, il l’investissait dans le cinéma. Ce que Freud appelle la sublimation. Le désir se mesure aux obstacles qu’on met à sa réalisation. C’est une idée très perverse; il faut tourner autour du pot pour faire durer le désir. Et Rohmer est un grand marcheur, c’est un homme qui aime les chemins de traverse."
C’est aussi un réalisateur qui a construit une œuvre de façon méthodique. Il sait très précisément où il va, il tourne 6 contes moraux, puis 6 comédies et proverbes, puis 4 contes des quatre saisons, suivant un ordre précis. "Mais ce n’est pas une œuvre fermée sur elle-même", bémole Noël Herpe. "Ce n’est pas une œuvre formaliste, de laboratoire, c’est une œuvre ouverte sur la vie. Il a ce côté obsessionnel mais il accueille une grande diversité d’individus, c’est son côté Balzac. Il a lu et adoré Balzac toute sa vie, c’est son modèle. Il avait envie, lui aussi, de faire sa comédie humaine."
Comme Fellini, Scorsese ou Truffaut, Rohmer a droit à son qualificatif. Que recouvre "Rohmerien" pour Noël Herpe ? "Quelque chose d’unique qui tient à la manière de parler des comédiens, des comédiennes surtout, de façon très articulée, presque sophistiquée alors que les histoires sont d’une grande banalité. Un film de Rohmer, c’est aussi un miroir grossissant car il dissèque à un point tel que c’est gênant, qu’on n’a pas envie de s’identifier. Toutefois, il n’est jamais dans la satire, ni le mépris de ses personnages. On met toujours quelques minutes avant de rentrer dans un film de Rohmer. C’est une langue cinématographique inédite. Et si on ne l’accepte pas, on ne peut que détester son cinéma. Il est dogmatique et, simultanément, il arrive à restituer la vie comme peu de cinéastes y sont arrivés. Il y a un sentiment de vérité extraordinaire dans ses films.
Comment Noël Herpe explique-t-il ce phénomène paradoxal à propos de ses comédiens : alors qu’il a découvert et lancé plusieurs acteurs, Dussollier, Luchini, Pascal Greggory ou Melvil Poupaud, aucune de ses jeunes comédiennes n’a fait carrière sauf Arielle Dombasle mais elle bénéficiait d’autres appuis. "Les femmes, il les crée de toutes pièces. Son premier film, c’était
Eric Rohmer. Biographie Antoine de Baecque et Noël Herpe