Beckett et les radis

Une jouissive escapade littéraire de Patrick Roegiers, folle d’érudition et d’anecdotes. Avec "La traversée des plaisirs", il partage son admiration pour les écrivains.

Guy Duplat
L'ecrivain irlandais Samuel Beckett (1906-1989) avec son editeur Jerome Lindon le 11 juillet 1985 --- Irish writer Samuel Beckett (1906-1989) with his publisher Jerome Lindon on july 11, 1985 Reporters / Rue des Archives *** Local Caption *** Irish writer Samuel Beckett (1906-1989) with his publisher Jerome Lindon on july 11, 1985
L'ecrivain irlandais Samuel Beckett (1906-1989) avec son editeur Jerome Lindon le 11 juillet 1985 --- Irish writer Samuel Beckett (1906-1989) with his publisher Jerome Lindon on july 11, 1985 Reporters / Rue des Archives *** Local Caption *** Irish writer Samuel Beckett (1906-1989) with his publisher Jerome Lindon on july 11, 1985 ©Reporters / Rue des Archives

La littérature est un plaisir et Patrick Roegiers en raffole. Il nous fait partager, dans "La traversée des plaisirs", son appétit gourmand pour les auteurs.

L’idée de son dernier opus est partie de la vente de sa collection de livres de photographie et de la nostalgie qu’il a eue alors de regarder et caresser ses livres littéraires.

Il nous fait voyager dans la littérature à folle chevauchée, avec des successions de listes, d’anecdotes et de citations à donner le vertige. Un livre à dévorer ou à picorer. "Énumérer est une forme de narration", écrit-il. C’est aussi cartographier la galaxie des formes d’écriture. Dans son ciel, brillent des étoiles dont il dresse de courts portraits hauts en couleur : Georges Perec, Samuel Beckett, Céline, Roland Dubillard, Roland Barthes, Michel Leiris, Michaux, Robbe-Grillet, Claude Simon.

Dans une première partie écrite à 200 km/h, ponctuée de points d’exclamation, le péché mignon de Roegiers ("Quel salmigondis ! Quelle innovation !"), on apprend que Tennessee Williams est mort étouffé en ayant ouvert une bouteille de champagne avec les dents, que les imprimeurs russes exigeaient en 1905 d’être payés pour les guillemets au tarif des lettres et que Sartre ne mesurait qu’1m53. Dérisoire ? Rien n’est dérisoire quand on veut comprendre le génie de ceux qu’on aime.

Les raisons d’écrire sont aussi multiples que les étoiles. "J’écris pour qu’on m’aime", disait Genet. "J’écris pour des raisons qui poussent les autres à dévaliser une banque", ajoutait Scutenaire. "Je vaux mieux que ce que j’écris" (Barthes). "J’écris pour ne pas mourir" (Kafka). Gracq disait la vérité : "J’écris comme presque tout le monde, en commençant par le début et en finissant par la fin."

Patrick Roegiers parvient à toucher le mystère de la création, mais il le fait avec cette distance ironique qu’on apprécie. Il rappelle d’ailleurs que tout artiste doit rester humble. William Styron appela un jour son éditeur : "Allo ? C’est William Styron." Après un bref silence, on lui demanda : "Pouvez-vous épeler votre nom." André Gide se rendant à la banque, l’employé lui demanda : "Gide, avec un y, n’est-ce pas ?"

Samuel Beckett avait tout compris : "Que sais-je du destin de l’homme ? Je ne me suis pas posé la question. Je suis davantage au courant des radis."

La traversée des plaisirs Patrick Roegiers Grasset 250 pp., env. 20 €

Vous êtes hors-ligne
Connexion rétablie...