Le Royaume-Uni, pays caméléon

L’historien français François-Charles Mougel raconte son long XXe siècle. Comment innovation et continuité ont caractérisé un pays au fond mal connu.

Jacques Franck
LONDON, UNITED KINGDOM - JULY 5: The laser show over the Shard on July 5, 2012 in London, England. Europe's tallest skyscraper the Shard was inaugurated in a dazzling sound and light show befitting its status as the capital's brashest and most controversial building. The Shard is 309.6 meters tall (1,016 feet) and features high quality offices, a 5-star hotel with more than 200 rooms and suites and 3 floors of restaurants. It will also feature exclusive super prime residential apartments and the top levels will consist of the capital's highest public viewing gallery offering 360 views of London. PHOTOGRAPH BY Terry Seward / Barcroft Media UK Office, London. T +44 845 370 2233 W www.barcroftmedia.com USA Office, New York City. T +1 212 796 2458 W www.barcroftusa.com Indian Office, Delhi. T +91 11 4053 2429 W www.barcroftindia.com Reporters / Barcroft *** Local Caption *** 01167062
LONDON, UNITED KINGDOM - JULY 5: The laser show over the Shard on July 5, 2012 in London, England. Europe's tallest skyscraper the Shard was inaugurated in a dazzling sound and light show befitting its status as the capital's brashest and most controversial building. The Shard is 309.6 meters tall (1,016 feet) and features high quality offices, a 5-star hotel with more than 200 rooms and suites and 3 floors of restaurants. It will also feature exclusive super prime residential apartments and the top levels will consist of the capital's highest public viewing gallery offering 360 views of London. PHOTOGRAPH BY Terry Seward / Barcroft Media UK Office, London. T +44 845 370 2233 W www.barcroftmedia.com USA Office, New York City. T +1 212 796 2458 W www.barcroftusa.com Indian Office, Delhi. T +91 11 4053 2429 W www.barcroftindia.com Reporters / Barcroft *** Local Caption *** 01167062 ©Reporters / Barcroft

Nous connaissons les Beatles et les tournois de Wimbledon, nous avons lu Oscar Wilde et Virginia Woolf, nous avons déambulé à Westminster Abbey et à Piccadilly, nous nous souvenons de Churchill et du duc de Wellington, nous avons aimé les vers de Byron et la musique de Purcell, nous avons souri au bonheur du duc et de la duchesse de Cambridge, et nous nous inclinons, bien sûr, devant la Reine, - mais connaissons-nous l’Angleterre ?

Non, pense François-Charles Mougel, boursier d’Oxford, professeur émérite d’histoire contemporaine à Sciences-Po Bordeaux. Et le voilà qui nous offre une histoire du Royaume-Uni de 1900 à nos jours, - et nos jours sont ceux de 2013 ! Une histoire qui associe les dimensions politiques, diplomatiques, économiques, sociales et culturelles pour dégager les lignes de force d’une évolution que deux mots caractérisent : continuité et innovation. Si le rituel monarchique, les perruques des magistrats, les chevaux et les chapeaux aux derbys d’Epsom peuvent donner l’impression du conservatisme, quand on y regarde de plus près, on découvre ce que l’auteur appelle "un pays caméléon".

Bornons-nous ici à l’après-guerre. A l’issue des vingt premières années qui suivirent la victoire de 1945, le Welfare State instauré par les Travaillistes et conservé par les Tories revenus au pouvoir dès 1951, le pays est prospère et l’aisance s’est généralisée. Entre 1945 et 1964, le nombre de détenteurs d’un permis de conduire est passé de 5 à 13 millions, celui des abonnés au téléphone de 15 000 à 13 millions également. L’enseignement supérieur compte 220000 étudiants au lieu de 70000. La culture est plus répandue, la presse connaît un âge d’or.

Cet essor s’est accompagné d’un questionnement des valeurs, observable dans la criminalité, la religion et la culture jeune. Entre 1945 et 1964, le nombre de crimes a cru de 15000 à 35000, tandis que la progression des incivilités, des vols, des agressions - telle celle qui inspira "L’Orange mécanique" (1962) à Anthony Burgess -, traduisait une sécularisation des valeurs et un mal-être de la jeunesse. La pratique religieuse est tombée autour de 20 % (45 % chez les catholiques), tandis que les immigrés introduisent l’islam et le bouddhisme. Enfin, l’apparition des Teddy Boys, l’essor des Beatles, l’émergence des Mods et des Rockers avec leurs attributs vestimentaires et leurs rites musicaux signalent la "dissension" d’une partie de la jeunesse. Les tabous de la sexualité, les vieilles valeurs de travail ou de déférence reculent. Au théâtre, les Angry Young Men explosent. Bref, on assiste à une véritable mutation "entre un monde ancien de plus en plus abandonné, sinon regretté, et une modernité encore imprécise".

Au terme de la période 1964-1979, au cours de laquelle le Royaume-Uni est souvent apparu comme "l’homme malade de l’Europe", Margaret Thatcher accède au pouvoir. S’ensuivront deux "révolutions". La première, "thatcherienne", s’inspira de la tradition disraélienne de grandeur nationale, de valeurs civiques, de références chrétiennes et de progrès économique et social; mais aussi de l’école philosophique autrichienne ultralibérale (Friedrich von Hayek) de la suprématie du "marché", de Milton Friedman et de l’Ecole de Chicago défendant un capitalisme fort.

En 1997, lui succéda la "révolution" du New Labour, incarnée par Tony Blair, puis par Gordon Brown. Elle reposa sur un syncrétisme réunissant l’idéal travailliste de progrès et de justice du Labour de 1945, le recours à l’Etat pour moderniser la société, l’apport moral et spirituel du christianisme, de l’écologie, et du capitalisme social, une citoyenneté des devoirs autant que des droits.

Où en est l’Angleterre aujourd’hui ? Dans une société globalement aisée, le taux de pauvreté s’établit autour de 20 % de la population totale. Le facteur le plus frappant est l’aggravation des inégalités financières, scolaires et sociétales, qui frappe les chômeurs, les "working poor", les jeunes, les familles monoparentales et les retraités, et qui n’avantage qu’un petit nombre d’actionnaires, de grands patrons et d’oligarques russes ou du Moyen Orient.

Certes, la Grande-Bretagne reste un pays paisible et civilisé, conclut François-Charles Mougel, et la création y reste dynamique : nombreux Prix Nobel; succès mondiaux des "Cinquante nuances de Grey" d’EL James (40 millions d’exemplaires) et du film "Skyfall", de Sam Mendes, qui fait à nouveau du personnage de James Bond le vecteur du plus grand succès cinématographique de l’histoire du film britannique; rafale de médailles lors des JO de 2012; dynamisme architectural et culturel, illustré aussi bien par la nouvelle zone de Saint-Pancras près du terminus d’Eurostar, que par la plus haute aiguille d’Europe, "The Shard", édifiée par Renzo Piano.

Il n’en reste pas moins, conclut l’historien français, que pour favoriser l’émergence d’un nouveau pacte collectif pour le futur, le Royaume-Uni devra "apprivoiser la géographie, mère de toutes les politiques selon le mot de Napoléon". Et dès lors, s’il ne veut pas devenir le 51e Etat des Etats-Unis ou une simple escale Mid-Atlantic au sein d’une éventuelle communauté de l’hémisphère Nord, l’archipel britannique devra s’ancrer solidement à ce continent dont il s’est toujours démarqué sans pouvoir s‘en éloigner : l’Europe. Afin de partager avec elle les expériences qu’elle a accumulées tout au long du XXe siècle.

Une Histoire de Royaume-Uni François-Charles Mougel Ed. Perrin 576 pp.env. 25 €

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