La Grèce éternelle, de tous les temps
"Deviens qui tu es", ou quand les sages grecs nous aident à vivre. Un essai du philosophe Vergely sur l’éternelle sagesse des Anciens.
Publié le 06-03-2014 à 11h48 - Mis à jour le 10-03-2014 à 12h57
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On reviendra toujours vers la Grèce. Non point pour le soleil, la mer, les îles; mais, en revanche, pour tous ceux qui la fondent : Platon, Socrate, Homère, Hérodote, Thucydide, Sophocle, Eschyle, Euripide et combien d’autres aussi. C’est à eux que nous rapporte aujourd’hui Bertrand Vergely, philosophe de nos jours, en nous dédiant l’essai "Deviens qui tu es", "phrase cosmique" dont la paternité ne revint jamais à Nietzsche qu’après Pindare, Ovide et saint Augustin. La philosophie grecque nous est souvent administrée comme une leçon "ex cathedra" où l’on a vite fait, si l’on en méconnaît l’épine dorsale, de confondre Thalès, Parménide et Héraclite. Sans parler des Zénon et des Diogène. C’est ici même que Bertrand Vergely, agrégé de philosophie et normalien, se réjouit d’établir des correspondances entre l’Antiquité grecque et le monde contemporain, nous ouvrant ainsi à la sagesse éternellement moderne des Anciens. Ce que dit M. Vergely, d’un mot, c’est que si les Grecs eurent leurs dieux, leurs mythes et leurs héros, notre époque aussi bien possède les siens. Outre que les Grecs nous permirent de découvrir ce qu’était le sens de la vie. Notamment quand, au Ve siècle avant J.-C., Périclès invente la démocratie et aspire à bâtir une vraie société. On se plaira donc, au cours de cet essai - certes didactique mais ô combien érudit - de suivre l’auteur dans ses rapprochements entre l’Antiquité et la contemporanéité. Des translations souvent osées, parfois téméraires, mais la plupart du temps assez édifiantes. Un vrai malheur sans doute que nous ne soyons pas tous docteurs en philosophie. Mais, il est juste, "personne ne vit en pensant que la vie est vide et qu’elle n’a rien à lui apprendre." Aussi, même Aristote eut-il le don d’écrire dans sa "Métaphysique" que "c’est en regardant le soleil, la lune, les étoiles, l’univers que les premiers philosophes eurent l’idée de s’interroger".
Chaque fois, donc, Bertrand Vergely s’en va partant d’un épisode contemporain pour y retrouver les éléments fondateurs de la philosophie antique. Où, évoquant la promenade de Nietzsche à Èze, près de Nice, il dépeint un "spectacle grandiose [où] on n’est plus sur terre mais sur l’Olympe, la montagne dans sa puissance majestueuse donnant l’impression d’être Zeus, le dieu de la foudre, et la mer une divinité féminine attirante et profonde".
Lancé d’un univers où la beauté représentait le monde à l’endroit (l’idéal, le beau, le bien, le vrai) pour en rejoindre un autre où la tragédie décrivait le monde à l’envers (l’ombre, le cynisme, le matérialisme, la démagogie, etc.), Bertrand Vergely nous fait immanquablement réfléchir au relativisme et à la démesure. Puis, il en vient à la société du spectacle. Fidèle à son Platon originel, guide autorisé de cette longue promenade, Vergely remonte ainsi les chemins du temps vers Guy Debord, chantre de Mai-68 comme le fut aussi bien Raoul Vaneigem, qui posait que l’économie était vraisemblablement une mystification, mais la culture tout entière également. Au début du livre VII de "la République", Platon par exemple développe l’allégorie de la caverne. "Chez Platon, c’est la démagogie qui mystifie le monde en faisant prendre le paraître pour de l’être et l’être pour du paraître. Chez Guy Debord, c’est le triomphe de l’échange marchand qui aboutit à faire du spectacle la réalité et de la réalité un spectacle."
Évoquant soudain la "Kingdom Tower" de Djeddah, en Arabie Saoudite, qui mesurera mille et un mètres, le philosophe envisage du même coup la démesure (hubris, orgueil, excès). Et, du coup, parle en ces termes de la passion. "On l’a vu, il y a une sagesse tragique. Le relativisme, le matérialisme, le cynisme et la sophistique en sont la preuve. Il y a cependant aussi un tragique qui n’est pas sage. On le trouve dans la passion."
Ce n’est heureusement pas sur ce point que conclut Bertrand Vergely en ces pages. Car il y traite encore de l’âme, de la vertu, du bonheur, de l’amour et… de la philosophie. De la politique même. Sautant du siècle de Périclès au XXIe après Jésus-Christ, il vante un Daniel Cohn-Bendit qu’il laure de plusieurs mérites dont le moindre n’est probablement pas de s’affranchir de tout dogme lorsqu’il s’empare de la parole. "La vraie politique fait entendre la raison au sein des réalités, des idées et des jeux de pouvoir en ayant le sens de la parole, de la réflexion, de la sincérité et de l’honnêteté."
Deviens qui tu es. Quand les sages grecs nous aident à vivre Bertrand Vergely Albin Michel 344 pp., env. 19 €