L’éprouvant voyage d’Edith Stein
Maryse Wolinski fascinée par la foi de la célèbre philosophe allemande.
Publié le 06-03-2014 à 11h18 - Mis à jour le 14-03-2014 à 07h50
Dans les livres très divers qu’elle publie depuis 1982, Maryse Wolinski a souvent mêlé sourire et réflexion, légèreté et gravité. Avec "La passion d’Edith S.", son dernier roman, c’est surtout la gravité qui l’emporte et, même, une empathie évidente que l’on s’étonne presque de lui découvrir pour une héroïne à laquelle elle a pourtant déjà consacré une pièce de théâtre : Edith Stein. Comme elle, la philosophe juive allemande, convertie au catholicisme sans renier son peuple d’origine, morte à Auschwitz et canonisée par Jean-Paul II, était une passionnée, douée d’une insatiable curiosité, engagée pour l’égalité des sexes et assumant dans ses actes son exigence de liberté. Certes, l’empathie ne va pas sans négliger toute contestation. Mais on ressent la fascination de la romancière pour la femme, éprise d’absolu et dont la foi parvint à sublimer l’épreuve et les contraintes. Tout se passe dans le huis clos éprouvant du wagon qui emmène, parce qu’ils sont juifs et entassés jusqu’à ne pouvoir s’asseoir, des jeunes, des vieux, des enfants, des femmes vers une destination qu’ils ne savent pas encore être Auschwitz. Tentant de résister plus ou moins bien aux conditions de leur enfermement, ils y mettent d’abord une certaine solidarité, bientôt de l’indifférence avant une sauvagerie sans compassion. La soif, la chaleur, la peur, l’épuisement, les disputes, les odeurs, les morts… s’additionnent pour saper peu à peu leurs minces espoirs de départ.
Sous son voile de carmélite, Edith tente d’apaiser, de rassurer, d’aider. Elle se sent investie d’une mission, se référant au précepte de Thérèse d’Avila - dont elle a pris le nom en religion - de considérer l’éternité sans se soucier des choses d’ici-bas.
Elle intrigue et agace tout à la fois. En face d’elle, Hannah, une laïque révoltée, la provoque dans ses idées et la paix qu’elle y puise. Au long de l’interminable trajet qui traverse les lieux où elle est née, a étudié, aimé, Edith revit son parcours personnel, depuis son enfance avide d’apprendre jusqu’à la contestation de son milieu petit-bourgeois, sa découverte de la philosophie, son opposition à sa mère, ses amours déçues, son approche du phénomène religieux, ses écrits disparus…
Les deux univers, celui du train et celui du destin d’une femme, se croisent constamment dans ce récit où la réalité documentée s’étoffe de fiction, là où l’on ne peut notamment qu’inventer les dialogues entre deux personnages. Maryse Wolinski restitue l’atmosphère inhumaine du wagon avec une vérité qui fait mal. Elle laisse plus perplexe avec le personnage d’Edith, devenue sœur Thérèse-Bénédicte de la Croix, pour laquelle son regard se fait tour à tour interloqué, incrédule, ébloui. Fasciné sûrement.
La passion d’Edith S Maryse Wolinski Le Seuil, 222 pp., env. 18 €