William Cliff dans l’Enfer de Dante
Le poète belge nous en livre une traduction fluide en décasyllabes rythmés.
- Publié le 06-03-2014 à 15h01
- Mis à jour le 10-03-2014 à 14h18
Un de nos poètes les plus originaux et les plus profondément humains, William Cliff, nous offre un cadeau merveilleux : sa traduction de l’Enfer de Dante. Nous étions sans nouvelles de lui, et pour cause : il était en voyage. Et quel voyage ! Celui-là même que le poète florentin entreprit, le 18 avril 1300, jour du Vendredi saint, et qui le fera descendre, guidé par Virgile, dans une sorte d’entonnoir creusé au sein de la terre par la chute de l’ange rebelle Lucifer : l’Enfer.
Cet Enfer est composé de neuf cercles concentriques. Le premier (les limbes) accueille les âmes vertueuses de l’Antiquité mais qui n’ont pas bénéficié des lumières de la Foi. Les huit suivants verront se succéder, souffrant de peines de plus en plus cruelles en raison de leurs péchés de plus en plus graves, les luxurieux, les gourmands, les avares et les prodigues, les coléreux, les hérétiques, les violents envers Dieu, leurs prochains, la nature, les fraudeurs, voleurs, faussaires; enfin, ceux qui ont trahi leurs parents, leur patrie, leurs hôtes, bref, leurs bienfaiteurs parmi lesquels, bien sûr, Judas et Lucifer lui-même.
Cette traversée de l’Enfer impressionna fort en son temps. Jacqueline Risset, traductrice éminente de la "Divine Comédie", raconte : "Dante avait le teint olivâtre, et les commères d’Italie, le voyant passer, attribuaient la couleur sombre de sa peau à la traversée des flammes d’outre-tombe. "C’est l’homme qui a été en Enfer", murmuraient-elles sur son passage".
Nous ne lisons plus la "Divine Comédie" comme au temps du poète, ni même comme au dix-neuvième siècle, où non seulement Balzac pensa sa "Comédie humaine" à sa lumière, mais où Baudelaire, Nerval, Lautréamont en furent incendiés. Pourtant ce monument de la littérature médiévale (Dante y use de 27 000 termes différents) fascine toujours. Par la beauté des vers, l’inventivité des épisodes, la symbolique des situations, la violence des images si sublimement transposées par Botticelli ou Gustave Doré, c’est véritablement une carte du mal que Dante déploie sous nos yeux. Et ce Mal, c’est peu dire qu’il n’a pas déserté notre monde !
William Cliff n’a pas voulu se substituer aux traducteurs érudits qui l’ont précédé, explique-t-il, mais suivre deux principes : clarification et simplification du sens et maintien inaltérable du décasyllabe qui structure la versification de Dante. Il en résulte que le lecteur ne trouvera pas toujours un parallélisme exact entre le texte italien et la version française (l’édition est heureusement bilingue). Il ne trouvera pas non plus tous les noms de tous les contemporains de Dante, bien oubliés aujourd" hui, que le poète s’est fait un malin plaisir d’envoyer en Enfer. La fluidité de la lecture en est naturellement favorisée.
Un exemple vaut mieux qu’un long discours. Voici deux traductions des derniers vers de l’Enfer, au moment où Dante et Virgile remontent à la surface. D’abord celle de Jacqueline Bisset (Flammarion) :
- "Mon guide et moi, par ce chemin caché/nous entrâmes, pour revenir au monde clair;/ et sans nous soucier de prendre aucun repos,/ nous montâmes, lui premier, moi second,/ tant qu’enfin je vis les choses belles/que le ciel porte, par un pertuis rond :/Et par là nous sortîmes, à revoir les étoiles".
Et voici William Cliff :
- "C’est par ce chemin secret que mon maître/et moi, nous allâmes pour retourner/aux belles choses que le ciel embrasse,/ et sans prendre aucun repos nous montâmes,/ lui d’abord et moi toujours sur ses traces,/ tant qu’enfin par un trou nous émergeâmes/pour revoir la lumière des étoiles".
Puisse cette traduction amener à Dante de nouveaux lecteurs. Et veuille William Cliff s’attaquer maintenant au Purgatoire.
L’Enfer Dante traduction de William Cliff La Table ronde 400 pp., env. 9 €.