La vengeance pour horizon
Du Donegal à la Pennsylvanie, Paul Lynch orchestre une chasse à l’homme à l’aura ténébreuse et majestueuse. Par une nouvelle voix irlandaise, une épopée intense qui explore la brutale réalité sociale du XIXe siècle.
Publié le 16-03-2014 à 14h56 - Mis à jour le 22-06-2017 à 17h46
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D’Irlande nous parvient une nouvelle voix ciselée et assurée, en la plume de Paul Lynch (né en1977), qui est journaliste et critique de cinéma à Dublin. "Un ciel rouge, le matin" ("Red Sky in Morning"), son premier roman, est une plongée dans un univers impitoyable et violent, où la hiérarchie sociale, strictement cadenassée, ne tolère aucun écart. Un matin de 1832, au nord-ouest de l’Irlande, Coll Coyle apprend qu’il va être expulsé de la ferme où il travaille. Déterminé à connaître la raison de ce soudain renvoi, il interpelle le fils du riche propriétaire qui l’emploie, mais la confrontation tourne au drame. Coyle est contraint à la fuite, désespéré de laisser derrière lui sa femme enceinte et leur petite fille.
Coyle le sait, Faller, l’homme de main lancé à sa poursuite, n’abandonnera pas avant d’avoir vengé son maître. Plus seul que jamais, voilà Coyle en cavale à travers les tourbières du Donegal, grand vide où une nature majestueuse impose sa loi. Acculé, il décide d’embarquer à bord du Murmod qui le mènera aussi loin qu’il peut l’imaginer : en Amérique. Mais la traversée se révèle interminable, la promiscuité insupportable, la menace de la mort omniprésente. Il est en lambeaux lorsqu’il arrive enfin, ignorant tout de ce que sera désormais sa vie. Or la Pennsylvanie, poussée dans le dos par le progrès et le train à vapeur, est alors en quête de bras. Coyle travaillera donc sans compter, conscient que la menace n’a pas disparu : à l’abrutissement et au choléra galopant, s’ajoute bientôt la réapparition de Faller.
"Chaque homme, chaque nation est convaincue de contrôler un monde qui ne fait que les jeter aux quatre vents. […] Nos vies, nos destinées, nos histoires englouties par des forces plus vastes." A la puissance épique d’un habile récit et aux accents lyriques d’une écriture qui fait montre d’une belle maîtrise, Paul Lynch ajoute une méditation sur l’humaine condition. Une femme tente de comprendre ce qui est arrivé aux siens. Un homme, malmené par le destin, veut avancer malgré lui, estimant qu’il doit à ses enfants de rester en vie. Entre rage et vengeance, d’espoirs déçus en lutte pour conserver quelque dignité, ce western irlandais révèle un nouveau talent. A suivre.
Un ciel rouge, le matin Paul Lynch traduit de l’anglais (Irlande) par Marina Boraso Albin Michel 288 pp., env. 20 €.