Le premier roman de Joan Didion

Grasset a traduit le roman de jeunesse, publié en 1963, de la grande romancière américaine Joan Didion. Les premiers pas de l’auteur du livre bouleversant "L’année de la pensée magique".

Guy Duplat
Le premier roman de Joan Didion
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Les lecteurs francophones n’ont découvert la grande écrivaine américaine Joan Didion qu’en 2007, avec son récit bouleversant et magnifique, "L’année de la pensée magique", où elle raconte les douze mois qui ont suivi la mort brutale de son mari avec qui elle vivait en totale symbiose. Elle s’enfonça dans le désespoir et frôla le trou noir avant d’arriver à simplement survivre. Son écriture au plus juste de ses émotions a touché des centaines de milliers de lecteurs et lui a valu le prix Médicis.

Depuis, Grasset a eu la bonne idée de traduire et d’éditer ses chroniques sur l’Amérique, publiées entre 1960 et 1990 et, maintenant, "Une saison de nuits" ("Run River" en anglais), son premier roman, publié en 1963 quand elle n’avait pas 30 ans et qui n’avait jamais encore été traduit.

Un exercice périlleux car un premier roman n’est souvent qu’un essai. Ce livre n’est d’ailleurs pas parfait, encore malhabile dans sa construction et touffu dans ses premiers chapitres, mais, peu à peu, on retrouve ce qui fera la force de Joan Didion : montrer les Etats-Unis et les fêlures qui apparaissent dans leur société.

Déjà dans ce premier roman, comme dans ses premières chroniques publiées dans les grands journaux, elle apparaît comme une des meilleures sismographes des années soixante, aux aguets des infimes craquements qui ne font pas la une des journaux, mais qui, de proche en proche, finissent par bouleverser de fond en comble un paysage social.

Il y a du Tchekhov de "La Cerisaie" dans ce roman, mais à la sauce américaine, avec meurtres et trahisons. On est en Californie, chez les arrière-petits-enfants des pionniers qui y ont construit des ranchs. Mais tout se délite et il s’agit plutôt, dans les années 40 et 50, de vendre les propriétés.

L’histoire se focalise sur le couple de Lily et Everett, duo de paumés incapables de se dire leurs sentiments et leurs frustrations. De 1938 à 1959, leur union bancale donnera deux enfants mais surtout beaucoup d’incompréhension et de non-dits. Everett quitte le foyer pour la guerre. Lily le trompe et trompe son ennui avec sa belle-sœur Martha. Autour, rode Ryder Channing dont Martha et Lily sont épris. On boit beaucoup dans leur entourage, énormément, pour oublier qu’on n’est que des enfants terriblement démunis de créer une famille dans un vide social.

Le roman débute par un coup de feu : la mort de Ryder Channing tué par Everett. Suit un long flash back et le livre se conclut par un second coup de feu.

Joan Didion raconte, à travers ce couple raté et ces familles désorientées par le monde nouveau, l’histoire de la Californie et l’effondrement de rêves des premiers pionniers, sous le poids des faux-semblants et des pitoyables stratégies de survie.

Guy Duplat

Une saison de nuits Joan Didon traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Philippe Garnier Grasset 332 pp., env. 20 €

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