600 traits d’esprit

Chez Omnibus, une petite anthologie des mots assassins et des saillies mortelles. Il nous reste heureusement les mots d’esprit, pour se consoler de la vulgarité ambiante et de la médiocrité dominante. On en connaît tous de plus ou moins méchants, émanant tantôt de Molière lui-même, de Voltaire aussi, mais également de Chamfort, Beaumarchais, Mirabeau, Feydeau, Labiche, Jules Renard, et plus près nous, d’Oscar Wilde, Gilbert Keith Chesterton, Tristan Bernard, Sacha Guitry, Alphonse Allais ou Pierre Dac. Souvent, est-ce un hasard, ils traitent des femmes, pour le compte d’une misogynie dont l’humour est très vraisemblablement la vertu cardinale.

Colette elle-même (photo), petite par la taille mais grande par son tour de tête, disait pourtant : "Il y a deux sortes d’amour : l’amour insatisfait, qui vous rend odieux, et l’amour satisfait, qui vous rend idiot." Il n’en va pas tant d’une rime que d’une sorte d’anagramme, avec un zeste d’allitération. A quoi George Sand, une autre grande cérébrale du reste, ajoutait : "Un homme qui parle d’amour avec esprit est médiocrement amoureux." Et l’on rejoint un peu là d’ailleurs Baudelaire qui ne craignait pas l’axiome célèbre : "Aimer une femme intelligente est un plaisir de pédéraste." Ou les frères Goncourt qui, évoquant un Daudet croyons-nous - mais non Alphonse -, décrétaient ouvertement : "Il prend sa femme à l’envers." Ces deux-là, au fait, n’étaient pas toujours sans mauvaiseté.

Guitry, le dandy, l’excellent homme, mieux que quiconque parlait de la gent féminine, que Brassens avec talent rebaptisa la féminine engeance; Guitry donc, professait : "Tu as un charme irrésistible - en ton absence - et tu laisses un souvenir que ton retour efface." En est-il de notre faute, aussi, si les femmes furent plus rares en général à prodiguer des traits "spiritueux" ? Apollinaire, fort heureusement, vole à leur secours : "Celle à qui j’ai donné ma vie un jour pendant plus de deux heures."

Il est pénible cependant de devoir choisir parmi les quelque 600 citations très intelligemment commentées dans ce goûteux petit dictionnaire paru chez Omnibus. "Boire ou choisir, il faut conduire", disait quelqu’un, qui aurait pu tout aussi bien ajouter : "La santé nuit au tabac". Mais ce ne sont point en l’occurrence des aphorismes présents en ce précieux ouvrage. En revanche, l’un de nos préférés, dont le géniteur était Charles Maurice de Talleyrand, Mgr d’Autun ("de la merde dans un bas de soie", était-ce là Fouché ?), y figure bel et bien : "Ne dites jamais de mal de vous, vos amis en diront toujours assez".

D’Alphonse Allais, c’est devenu un classique indémodable, mais par trop éculé : "Les gens qui ne rient jamais ne sont pas des gens sérieux". Oscar Wilde, dont on n’attendait évidemment rien d’autre, est un peu plus sévère : "Quand les gens sont d’accord avec moi, je sens que je dois avoir tort." A propos de quoi, peu ou prou, Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, proclamait à son aise : "Les gens de qualité savent tout sans avoir jamais rien appris". Ce qui nous ramène, par un détour tortueux, à l’une de ses pièces où il faisait dire à M. de Pourceaugnac : "Ils commencent ici par faire pendre un homme, puis ils lui font son procès". C’est l’esprit même de la modernité, et de la charia en particulier.

On ne pourra hélas plus encore nous attarder sur le génial Chesterton ("Les hommes qui croient réellement en eux-mêmes sont tous dans des asiles d’aliénés"), mais on peut toujours laisser dire à André Gide ce mot d’une percutante justesse : "Quand un philosophe vous répond, on ne comprend plus ce qu’on lui avait demandé". Car celui-ci vous assène sans rire : "La pseudologie ruine l’ipséité". Alors, bonsoir.

Eric de Bellefroid

Petite histoire des mots d’esprit célèbres (600 citations commentées) Collectif Omnibus 632 pp., env. 24 €