Faims de femmes résistantes
Un père écrit à sa fille anorexique pour tenter de briser son encerclement.
- Publié le 03-04-2014 à 11h46
- Mis à jour le 07-04-2014 à 10h08
Un père écrit à sa fille anorexique pour tenter de briser son encerclement.Ce qui touche, au plus intime, dans le livre de Tieri Briet, "Fixer le ciel au mur", relève de l’amour qui l’inspire : celui d’un père pour sa fille anorexique. Face à cette maladie qui laisse tant de parents démunis, ce père-là s’accroche à ce qu’il sait le mieux faire pour tenter de rejoindre celle à qui il veut apporter des forces et des raisons de s’en sortir : écrire. Il vient de la conduire à l’hôpital de Nîmes où elle a décidé de se faire soigner. Née à Bruxelles que ses parents ont dû quitter pour un problème lié à sa peau lorsqu’elle avait deux ans, elle est une fille de soleil - celui du sud de la France -, d’eau, de lecture. Et d’exil, à l’instar de ce gitan, lui aussi venu d’ailleurs, qui, rencontré au bord du fleuve traversant Arles, suggérera au père : Il faut que tu lui apprennes à être fière. Fière de ses origines, de ses racines, des ruptures de sa vie, de son histoire. Elle s’appelle Leàn. Lui se sent incompétent mais comprend que son travail consiste à briser l’encerclement où elle se trouve dans la chambre grise et close où elle a choisi d’affronter ses démons.
Il lui écrit. Il dit ce qui lui passe par la tête. L’instant immédiat. Un souvenir oublié. Tel écrivain qu’il a aimé et espère partager avec elle qui aime lire. Ce qu’il sait de l’anorexie, de la relation des jeunes fille d’aujourd’hui avec leur corps et la minceur. Il fait intervenir des extraits de chansons ou de poèmes (Brassens, Ferré, Camille, Billie Holiday, Noir Désir… Rimbaud…) qui parlent de nos vies. Il dit savoir que "les faims véritables sont impossibles à rassasier". Il lui raconte surtout des histoires, s’attachant plus particulièrement à celles de deux femmes d’exception qui ont fait de leurs pensées la vraie aventure de leur existence et ont résisté à l’oppression en écrivant : la philosophe Hannah Arendt et Musine Kokalari. De cette dernière, dont la dictature albanaise bâillonna la voix et la parole, il fait un portrait très attachant qui donne envie de la mieux connaître. Persuadé du pouvoir des mots et des connivences que l’on peut se découvrir avec ceux qui en écrivent, il soufflera à sa fille que c’est à elle qu’il appartient dorénavant d’apprendre et d’agir.
Mêlant son histoire personnelle - un remariage, un nouvel enfant - à celles qu’il raconte à sa fille entrée en convalescence, les personnages auxquels il se réfère finissent par envahir un peu trop un récit qui, se voulant ainsi un hommage à la littérature, y perd en cohérence et en intensité. On s’embrouille dans les fils qui se croisent et se superposent au projet initial concernant sa fille fragile. Quand il interroge : "Ces récits de femmes qui se battent, comment pourraient-ils te guérir ?", on était déjà en train de se poser la question. Si Tieri Briet n’apporte pas de réponse satisfaisante à cette question, c’est peut-être qu’il n’y en n’a pas et qu’il appartient à chacun de faire comme il peut, avec ce qu’il peut, concernant ce sujet grave et actuel. Dans l’occurrence de ce livre, une écriture sobre, sans redondance ou sentimentalisme, et la justesse de mots taillés à vif.
Monique Verdussen
Fixer le ciel au mur Tieri Briet Le Rouergue, coll. "La brune" 140 pp., env. 15,30 €