Quand Gandhi aimait un homme
Gilbert Sinoué raconte un épisode méconnu de la vie du Mahatma Gandhi.
Publié le 03-04-2014 à 15h37 - Mis à jour le 07-04-2014 à 12h20
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Gilbert Sinoué raconte un épisode méconnu de la vie du Mahatma Gandhi.Pas un seul instant mes pensées ne vous quittent." "J’ai souvent été dur avec vous, voire cruel. Mais je vous assure que mon attitude n’était dictée que par l’amour le plus pur. Si j’ai mal agi à votre égard, ce n’est pas parce que je vous aimais moins, mais trop." Des déclarations d’amitié et d’amour si fortes, Mohandas Karamchand Gandhi en a adressé des dizaines à Hermann Kallenbach, son "très cher ami", tout au long de leur correspondance qui dura plus d’une vingtaine d’années.
La "révélation" de cette relation homosexuelle - sans doute restée platonique - dans une biographie signée Joseph Lelyveld, ancien journaliste du "New York Times", a suscité l’émoi en Inde en 2011 où, plus de soixante ans après sa mort, il est toujours considéré comme un saint. On connaît le rapport à la sexualité du Mahatma qui avait fait vœu d’abstinence et testait sa résistance aux plaisirs terrestres en se faisant masser ou en dormant avec des femmes nues. On connaît moins l’intensité de la relation qu’il entretint avec Hermann Kallenbach, architecte juif allemand, pour qui il délaissa un temps sa femme et ses enfants. En formidable conteur, Gilbert Sinoué retrace ces années de lutte passées ensemble en Afrique du Sud puis leur correspondance lorsqu’ils furent séparés par la guerre. Grâce à un immense travail de documentation, l’écrivain s’est plongé dans la peau de Hermann Kallenbach en alliant à merveille la rigueur historique - chaque fait et chaque lettre sont "authentiques et vérifiables" - au souffle romanesque.
C’est en 1904, à Durban, que Gandhi, alors jeune avocat ambitieux, rencontre l’architecte, sportif et riche. La communauté indienne d’Afrique du Sud subit alors des mesures discriminatoires croissantes et le racisme des Blancs envers les Asiatiques s’exprime de plus en plus violemment. Gandhi en subit les conséquences à plusieurs reprises, notamment lors d’une nuit à Maritzburg, épisode décisif qui influença son engagement, d’après Gilbert Sinoué. En 1893, voyageant alors en première classe dans un train à destination de Pretoria, des voyageurs et le contrôleur se sont insurgés de la présence d’un homme de couleur dans le wagon. Il fut jeté dehors sans ménagement et passa une nuit glacée dans le hall de la gare de Maritzburg. De cette humiliation naquit sa conviction de lutter pour les droits civiques de sa communauté en Afrique du Sud et, plus tard, contre toutes formes d’inégalités.
Au-delà de la relation intense entre les deux amis qui les a nourris et construits, c’est le portrait révélant la part d’ombre du héros de l’indépendance de l’Inde qui fascine. Alors que l’engagement de Gandhi devient total, qu’il entre en résistance passive et entraîne des dizaines de milliers de personnes vers ses idéaux libertaires, on découvre aussi un homme cruel avec sa femme et ses enfants, un despote avec ses proches disciples, un avocat à la position ambiguë lorsqu’il déclare à Hitler dans une lettre datée du 23 juillet 1939 : "Je reste votre ami sincère". À travers ce magnifique récit des années de lutte pacifique, Gilbert Sinoué dévoile que la métamorphose de Mohandas Gandhi en Mahatma, Grande Âme, n’était pas seulement teintée de beauté.
Camille de Marcilly
La nuit de Maritzburg Gilbert Sinoué Flammarion 450 pp., env. 21 €