Mamie Dolto au centre du débat
Un livre réhabilite la grande prêtresse de la cause des enfants.
Publié le 06-04-2014 à 19h59 - Mis à jour le 07-04-2014 à 10h00
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Un livre réhabilite la grande prêtresse de la cause des enfants.Longtemps, l’on ne jura que par elle. Françoise Dolto (Paris, 1908 - Paris, 1988), psychiatre et psychanalyste freudo-lacanienne, fut adorée, adulée, jusqu’au jour où l’on convint de la brûler. Maman soi-disant de l’enfant-roi, on lui reprocha bientôt d’être devenue la grand-mère de l’enfant-tyran. L’histoire a ses mouvements pendulaires, on le sait, et donc le débat prit feu.
Ainsi parut-il encore aux éditions Autrement, l’an dernier, sous la caution du philosophe Michel Onfray, devenu un atrabilaire ennemi de la psychanalyse, un livre du psychologue cognitiviste Didier Pleux, dûment intitulé "Françoise Dolto, la déraison pure".
Aujourd’hui, serait-on tenté de dire, Elisabeth Brami (psychologue et écrivain) et Patrick Delaroche (pédopsychiatre et psychanalyste) remettent un peu la chapelle au milieu du village. C’est peu dire qu’ils s’efforcent à une réhabilitation de la prétendue "grande prêtresse" de la cause des enfants et adolescents, car ils en font même un éloge appuyé.
L’on dit un jour de Dolto qu’elle était devenue la Pythie, et il est vrai qu’elle tenait même une émission quotidienne sur France Inter à partir de 1976. De là, il n’y avait plus très loin à décréter qu’elle légiférait à elle seule sur l’éducation des enfants, et par là même sur la vie des parents. Et cependant, de nombreux médecins lui avaient déjà ouvert la voie, de Melanie Klein à Maria Montessori notamment, de Janusz Korczak à Bruno Bettelheim encore. Au reste, malgré ses nombreux livres, elle s’était toujours gardée de tout propos dogmatique ou doctrinaire. Conférant comme une suprématie à une manière d’intuition.
"Pour elle, plaident ensemble les deux auteurs, essayer d’éduquer les parents, c’était parvenir à mieux éduquer les enfants, donc éviter à ces derniers bien des souffrances et des déboires, améliorer leur sort et par extension celui de la société". Mais il faut bien voir que la "papesse", "passée en vingt ans du pinacle au pilori", régnait en plein mois de mai de l’an 1968. L’époque où il était notoirement "interdit d’interdire". Ce qui signifie que les enfants du "baby-boom", élevés quant à eux par des parents à l’ancienne, eurent tôt fait de l’idéaliser en exquise bonne-maman. Or, notre société actuelle est effectivement en plein rejet de cette période, pour ne pas dire qu’elle la recrache…
En trois mots : fille de Freud, "sœur" de Lacan, mère de Carlos - le chanteur à succès qui eut peut-être le tort d’être un peu trop fantaisiste à l’estime des contempteurs de la psychanalyste, qui voyaient là en effet un très sérieux argument pour anéantir la pertinence de son enseignement. Quant à Freud, on sait très bien "combien l’opposition à la psychanalyse est peur de soi-même et rejet de certains dévoilements" (dixit Georges Mauco).
Ce que la bonne mère Françoise elle-même confirma ainsi en 1985 : "La résistance à […] la révolution freudienne me fait penser à celle qui s’est développée devant la révolution galiléenne, ou copernicienne…" L’humain, incontestablement guidé par son inconscient, n’étant de fait plus maître en sa propre demeure, comme l’humanité auparavant avait été ramenée à sa juste dimension dans l’univers. D’où l’on tint Freud, avec Marx et Nietzsche, pour l’un des trois grands "philosophes du soupçon".
Il faudra lire ce livre pour renouer avec le juste propos de Mme Dolto, dont Elisabeth Brami et Patrick Delaroche annoncent d’emblée : "Ce sont ses héritiers ‘psy’ qui parlèrent de faiseuse de miracles à son propos et la mythifièrent tout en cherchant à l’imiter par trop-plein d’admiration. Nous en constatons tous les jours les effets désastreux, tant elle était inimitable". Elle ne faisait pourtant que revendiquer le droit de l’enfant au respect, à l’heure où la lumineuse psychanalyste Alice Miller dénonçait une draconienne "pédagogie noire" en vigueur dans l’Allemagne du XIXe siècle, source probable des démentielles dérives du nazisme.
Eric de Bellefroid
Dolto, l’art d’être parents. L’éducation, la parole, les limites Elisabeth Brami et Patrick Delaroche Albin Michel 212 pp., env. 17€