Le fou et sa place parmi nous
Un magistral essai de Patrick Coupechoux sur "l’humanité de la folie".
Publié le 28-04-2014 à 09h25
Un magistral essai de Patrick Coupechoux sur "l’humanité de la folie".S’il existe depuis longtemps une fascination pour la folie, par son concours présumé à la création artistique et littéraire entre autres, jusqu’au surréalisme même, il s’en trouve également sur l’autre versant une peur qui confinerait assez vite à l’effroi. Or, depuis la parution d’"Un monde de fous" en 2006 (Seuil), l’on disposait d’une authentique enquête de référence du journaliste Patrick Coupechoux, qui à présent renouvelle l’exploit avec "Un homme comme vous. Essai sur l’humanité de la folie". Un ouvrage extrêmement fouillé et documenté, non jargonnant ni intellectualisant, qui parle, disons, une autre langue que le Foucault de l’"Histoire de la folie à l’âge classique" (1976).
Depuis toujours, le fou est relégué à la marge : brûlé au Moyen Age, parqué dans l’hôpital général sous Louis XIV, cloîtré plus tard dans l’asile inventé par Philippe Pinel (1745-1826) et Jean-Etienne Esquirol (1772-1840), médecins aliénistes fondateurs de la psychiatrie française, mais devenu à la longue un lieu de ségrégation et de mépris des droits humains élémentaires, "à tel point que de nombreux psychiatres, à la Libération, ont pu le comparer aux camps de concentration nazis lorsqu’ils en ont découvert l’horreur, au retour des rescapés". Il y eut d’ailleurs, pendant l’Occupation, la fameuse "hécatombe des fous".
Mais aujourd’hui, avec l’avènement des neurosciences et du nouveau paradigme de "la santé mentale", Patrick Coupechoux décèle comme un abandon de la dimension humaine de la folie. Une forme d’exclusion et de négation qui condamnerait à ne jamais la comprendre - et "à ne jamais entendre ce qu’elle dit de notre monde" . Tout cela après les progrès, au lendemain de la guerre, d’une psychiatrie du sujet dite aussi "désaliéniste".
"On pense toujours en avoir fini avec l’asile", qu’on se détrompe. On n’en est peut-être plus aux électrochocs sans anesthésie, comme on les administra à Artaud à l’asile de Rodez, mais les malades qui traînent en pyjama toute la journée et les chambres d’isolement existent toujours. Fût-ce pour pallier, comme dit le discours de la bonne conscience, le manque de personnel.
Si l’aliéné est quelqu’un qu’on a voulu empêcher d’émettre d’insupportables vérités - Artaud, avec sa dénonciation de la société, étant tenu, mais à tort semble-t-il, pour un précurseur de l’antipsychiatrie -, l’on pourra aussi recenser ici assurément les Baudelaire, Poe, Nerval, Nietzsche, Kierkegaard, Hölderlin, Strindberg, Camille Claudel ou Van Gogh, voire Rimbaud. Et qu’il le veuille ou non, dit Michel Foucault, le monde est bien obligé "de se mesurer à la démesure de leur œuvre".
Achevons, avec ce mot d’Artaud encore, la lecture de ce livre en tout point édifiant : " Je souffre affreusement de la vie. […] Et très certainement je suis mort depuis longtemps, je suis déjà suicidé. ON m’a suicidé, c’est-à-dire."
Un homme comme vous. Essai sur l’humanité de la folie Patrick Coupechoux (préface de Pierre Delion) Seuil 473 pp., env. 23 €.