Le dictionnaire d’une langue mutante
Quelque 400 mots et usages nouveaux pour comprendre la vie. Alexandre des Isnards nous initie avec précision au langage contemporain.
Publié le 30-04-2014 à 13h23 - Mis à jour le 05-05-2014 à 09h18
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Quelque 400 mots et usages nouveaux pour comprendre la vie. Alexandre des Isnards nous initie avec précision au langage contemporain.Du buzz au selfie, il n’aura échappé à personne que la langue française est en forte mutation, et l’on est tenté de dire que celle-ci ne cesse même d’accélérer de manière exponentielle. Introduisant son "Dictionnaire du nouveau français", Alexandre des Isnards ose affirmer que quelque 20 000 mots supplémentaires apparaissent chaque année. Les dictionnaires Robert, Larousse et Littré tentent de suivre la tendance certes en intégrant une centaine de nouveaux mots par an.
En même temps, alors que les politiques n’en utilisent plus que quelques centaines, il convient de voir aussi que les écrivains, les journalistes et les professeurs, à force de tweeter, adaptent leur langage aux outils numériques. "Faut-il donc se lamenter sur la dilution de notre belle langue ?", s’interroge opportunément l’auteur. "Elle mute, et plus rapidement que jamais." Précisant que sur Internet, où se joue l’avenir de nos cultures, le français ne concerne que 4 % des échanges, derrière l’allemand ou le japonais. Il voit là un violent camouflet pour une langue parlée par 220 millions de personnes dans le monde.
Devant l’afflux de vocables jusqu’ici inusités, Alexandre des Isnards a opté pour 400 nouvelles entrées dans ce dictionnaire qu’il conçoit comme le "complément indispensable et iconoclaste des dictionnaires classiques". La flore sauvage des nouveaux arrivants puise essentiellement aux sources anglo-saxonnes, à d’autant plus forte raison que les réseaux sociaux eux-mêmes sont de la même origine.
Vu que les jeunes furent aussi les premiers à investir ces réseaux, on note d’emblée une efflorescence de symboles en tous genres, issus souvent du langage texto (lol, mdr, pff, beurk, etc.), onomatopées ou acronymes qui ont désormais conquis - ou contaminé - les adultes eux-mêmes. Nous laisserons ici les "addicts" de la Toile y trouver leur bonheur.
Car, à l’évidence, il nous faudra choisir les exemples les plus éloquents, si l’on ose dire, parmi le nouvel éventail lexical. Certains mots, il est vrai, sont déjà présents dans les dictionnaires classiques, mais assortis parfois de définitions trop succinctes : acter, actualiser, anxiogène, background, blaze, buzz, feedback, hype, impacter, implémenter, legging, prioriser. Tandis que d’autres (afterwork, ASAP, backup, boloss, deadline, googliser, vapoter, etc.) n’y figurent au contraire pas encore.
Ne revenons plus à présent sur les bancable, biopic, bling-bling, boboïsation, (sur) booké, booster, botoxer, box, brainstorming, buguer, bullshit, burnout, etc., pour emprunter à la lettre B une collection de mots déjà suffisamment intégrés au langage courant. Même si l’auteur, associé à des best-sellers tels que "l’Open space m’a tuer" (Hachette Littératures, 2008) et "Facebook m’a tuer" (NiL, 2011), se plaît à en offrir de multiples sens dérivés, exemples à l’appui, empruntés aux médias, au Web, aux SMS ou autres tweets.
En quoi, au fond, c’est toute l’originalité de ce lexique inédit que de décrire désormais l’évolution et le mouvement des mots. Ainsi, l’adjectif crème : cool, classe, en langage adolescent. Crème désigne tout ce qui est agréable à vivre, toute perspective sympathique. On dira "ça passe crème" signifie "ça passe bien". Mais l’expression est très juvénile. "Si vous avez plus de vingt ans, continuez à dire ‘nickel’, ça passera crème."
Né en 2008 de la contraction de "no mobile phone phobia", la nomophobie désigne l’angoisse de perdre son téléphone portable, et par conséquent de se retrouver coupé du monde, pathologie aujourd’hui très répandue. Quant à noob, venu du mot anglais newbie, abréviation de new boy, on pourra saisir comment le mot glisse du sens de novice à celui d’abruti. On peut ainsi lire, sur un forum de jeux vidéo, le message suivant : "ntm fdp on s’en fout de ta vie de sale noob". Ce qui veut dire en clair : "Nique ta mère, fils de pute ! Ta vie n’intéresse personne, morveux". Serait-on cuistre et outrecuidant de dire que la nouvelle façon de parler ressemble à s’y méprendre au volapuk ?
Dictionnaire du nouveau français Alexandre des Isnards Allary éd. 526 pp., env. 21,90 €