Baricco cherche son "Soi"
L’écrivain italien, avec "Mr Gwyn", livre un beau conte cocasse, dans la lignée de "Soie" et de "Novecento". Un roman sur les mirages de l’écriture et du portrait, sur l’existence humaine tout simplement.
Publié le 08-05-2014 à 11h56 - Mis à jour le 12-05-2014 à 09h17
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L’écrivain italien, avec "Mr Gwyn", livre un beau conte cocasse, dans la lignée de "Soie" et de "Novecento". Un roman sur les mirages de l’écriture et du portrait, sur l’existence humaine tout simplement.Les fans d’Alessandro Baricco, ceux nombreux qui ont adoré "Soie" et "Novecento", seront ravis de retrouver l’écrivain italien dans "Mr Gwyn", un beau roman de la même veine. Un livre avec un suspense poétique et étrange, musical et tendre.
Derrière une histoire délicieusement absurde, Baricco pose, mine de rien, des questions essentielles sur l’art, la littérature, la vie.
L’Anglais Jasper Gwyn est un ancien accordeur de piano, devenu écrivain à succès. Son seul ami est Tom, son agent littéraire, qui se déplace en chaise roulante mais a l’amitié et l’intelligence très vives.
Mr Gwyn fuit le monde, préférant se réfugier dans les laveries automatiques de Londres dont il rêve de faire un guide des meilleurs endroits. Rebecca, l’assistante de Tom, aussi belle de visage que forte de corps, l’y retrouve quand on veut le joindre. Mr Gwyn se lasse de ce métier d’écrivain : "Un jour je me suis aperçu que plus rien ne m’importait et que tout me blessait mortellement".
Il veut réaliser tout autre chose et écrire des portraits comme il y a des portraits picturaux (en photo : Dali donnant une leçon). Des textes courts qui ne décriraient pas le sujet qui pose devant lui, mais qui parleraient de ce qu’il a dans son essence, au-delà des apparences.
Malgré l’incompréhension totale de Tom, il se lance dans cette folle idée avec un cérémonial cocasse que décrit minutieusement Baricco : l’appel à un délicieux vieil artisan qui lui crée des lampes qui meurent après trente jours, le recours à un musicien qui appelle son chien Martha Argerich et lui compose une musique New Age, etc. Ceux qui veulent leur portrait paient très cher et viennent poser nus devant lui, dans son atelier, trente jours de suite.
Il se décrit comme un "copiste". Il explique que ce projet "met son talent à l’épreuve". Il se rend compte du caractère absurde de l’opération, mais "c’est ça qui lui plaît dans l’idée que si on retirait à l’écriture la finalité naturelle du roman, quelque chose se produirait, un instinct de survie, un sursaut, quelque chose".
Mais un jour, Mr Gwyn disparaît et Rebecca, devenue son modèle, puis son assistante, cherche à percer le mystère. Ce mystère est bien celui de l’écriture, de la vérité du sujet, de la disparition de l’auteur derrière son modèle, du fossé entre l’apparence et l’intérieur, entre le réel et l’imaginaire. Mr Gwyn est un conte philosophique, une sonate légère et rigolote, sur ce que sont un roman et un portrait.
Flaubert disait que "Madame Bovary, c’est moi", que tout roman est un autoportrait. Alors le portrait littéraire est-il forcément un autoportrait ? Le propre de l’art est de ne pouvoir répondre à cette question comme l’expliquait Cioran : "Seul celui qui se trompe sur soi, qui ignore les motifs de ses actes peut œuvrer. Un créateur qui est transparent à lui-même ne crée plus".
Mr Gwyn Alessandro Baricco traduit de l’italien par Lise Caillat Gallimard 184 pp., env. 18,50 €