De vraies bêtes et un faux Monet
Christopher Gérard et Adrien Goetz divertissent avec malice et talent.
Publié le 08-05-2014 à 14h21 - Mis à jour le 12-05-2014 à 09h19
Christopher Gérard et Adrien Goetz divertissent avec malice et talent.L’humour, le véritable, est devenu une denrée rare par les temps qui courent. Je ne parle pas de celui que la télévision nous sert à la grosse louche, agressif et vulgaire. Mais de celui qui procède de la finesse de l’observation, du jeu avec les mots, de l’élégance dans les traits décochés. L’humour est divers, de Voltaire à Oscar Wilde. Une de ses plus jolies trouvailles me paraît l’alexandrin d’un bel esprit du XVIIIe siècle en réponse à une femme qui se plaignait d’avoir de trop petits seins : "Mais le cœur est plus près, quand la poitrine et plate".
Deux auteurs d’un humour très différent m’ont inspiré cette entrée en matière. Christopher Gérard est un écrivain belge de grande culture, comme en témoigna son "Songe d’Empédocle" (2003). Il nous donna également une promenade gourmande ("Aux Armes de Bruxelles", 2009) et une histoire fantastique dans notre capitale ("Vogelsang, ou la mélancolie du vampire", 2012).
Aujourd’hui, il donne la parole à des bêtes - ce qui est peu commun, on en conviendra. Des confidences qui nous révèlent ce qu’ils pensent de leurs… "humains de compagnie". Le fumeur invétéré qui pue la nicotine, se soucie-t-il du chat ou du chien obligé de respirer les relents écœurants de son addiction ? Cette bonne femme, inondée de parfums entêtants et de fadeur sentimentale, se demande-t-elle ce qu’en pense le chiot qu’elle presse contre ses seins ? Et ce renard de ville n’a-t-il pas raison de se plaindre de devoir user ses gencives sur des sacs de plastique remplis de déchets répugnants ?
Bref, nous avons beaucoup à apprendre des confidences animales recueillies par Christopher Gérard avec autant de cœur que d’imagination. Ecoutez donc ce petit rongeur d’une pétillante ironie qui, l’âge venu, se prépare à "partir, comme il aura vécu, sur la pointe des pattes". Ou ce bouledogue retraité des Services secrets de Sa Majesté britannique ? Ou encore ce chat excédé par des maîtres aussi agités que bruyants, qui finit par s’enfuir et qui sera recueilli (tous n’ont pas cette chance !) par un bibliophile solitaire et silencieux. N’était-il pas temps que des animaux qui nous accompagnent dans la vie nous disent… ce qu’ils ont sur le cœur ?
Tout autre chose. Mais de l’humour aussi, et du plus fin, dans les enquêtes qu’Adrien Goetz fait mener à Pénélope dans le monde de l’art. Historien d’art, maître de conférences à l’université de Paris-Sorbonne, directeur de "Grande Galerie, Journal du Louvre", il n’a pas son pareil pour nouer et dénouer des intrigues à Venise ou à Versailles, et aujourd’hui autour d’un tableau du grand peintre impressionniste Claude Monet (en photo).
A la veille du mariage du prince Albert et de Charlène à Monaco, certains de leurs amis souhaitent leur offrir une toile de Monet récemment surgie sur les marchés. Deux experts sont chargés d’établir son authenticité : une Américaine, qui possède un laboratoire spécialisé, et Sœur Marie-Jo, une Française, spécialiste de Monet, religieuse dans la communauté de Picpus. Mais voilà ! La première est retrouvée morte dans la salle de fitness d’un cercle réputé du boulevard Saint-Germain. La seconde est enlevée à la terrasse d’un grand café et enfermée dans les combles du Casino de Monte-Carlo.
A partir de là, le lecteur est entraîné, avec autant d’humour que d’invention, de Paris à la Côte d’Azur, de la maison de Monet à Giverny au petit monde des marchands d’art et de leurs clients. Adrien Goetz, tour à tour, nous égare et nous récupère, dans la meilleure tradition française de Maurice Leblanc et Arsène Lupin, de Gaston Leroux et Rouletabille. Dirons-nous demain : Adrien Goetz et Pénélope ?
Osbert et autres historiettes Christopher Gérard L’Age d’homme 112 pp., env. 10 €
Intrigue à Giverny Adrien Goetz Grasset 306 pp., env. 19 €