Hommes en chute libre
En cavale pour de bonnes raisons, unis par le hasard, deux êtres vont apprendre à compter sur l’autre. Womersley plus sombre que dans "Les Affligés".
Publié le 08-05-2014 à 12h00 - Mis à jour le 12-05-2014 à 09h25
:focal(465x240:475x230)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/AUDFT7IODFFTJLFKRISYBKI6LM.jpg)
En cavale pour de bonnes raisons, unis par le hasard, deux êtres vont apprendre à compter sur l’autre. Womersley plus sombre que dans "Les Affligés".Deux ans après "Les Affligés", qui voyait un soldat démobilisé après avoir combattu en Europe rentrer chez lui en quête de réhabilitation, Chris Womersley revient en français avec "La mauvaise pente" ("The Low Road"), roman antérieur paru en Australie en 2007. Plus sombre et plus désespéré, il partage toutefois avec "Les Affligés" le sens de la rencontre improbable - hier entre une fillette mystérieuse et un homme aux abois; cette fois entre un voyou et un médecin déchu.
La mauvaise pente, c’est celle qu’ont empruntée deux êtres que le destin, jamais avare en surprises surgissant "depuis des angles jamais considérés", va mettre sur le même chemin. La vingtaine, Lee est un petit voyou qui se réveille un jour dans la chambre d’un motel miteux avec une balle dans le ventre et une valise pleine de billets à ses pieds. Ce, sans savoir comment il en est arrivé là. Par l’entremise de la gérante, Wild, médecin morphinomane qui n’a plus le droit d’exercer, va le soigner. Tous deux sont en fuite. Tous deux ont de bonnes raisons de vouloir disparaître. Tous deux vont devoir faire confiance en cet autre qu’ils ne connaissent pas. Et reprendre la route, la police et Josef, le partenaire lésé de Lee, sur leurs traces.
Complices de circonstances, Lee et Wild sont hantés par leur passé. Un séjour en prison et un acte de folle barbarie pour le premier, un mariage raté et une erreur médicale commise sous l’emprise de la drogue pour le second. "On mène une certaine vie pendant un certain temps et ça devient un destin, l’avenir n’étant plus qu’un double du passé."
Dans ce roman qui fut couronné en Australie par le prestigieux Ned Kelly Award, Chris Womersley (Melbourne, 1968) orchestre, entre tension et délicatesse, la surprenante confrontation entre deux êtres en marge et guidés par la peur. Les portraits qu’il en dresse sont de subtils mélanges de compassion et de détermination, singulières plongées au cœur de l’inéluctable et de la dépendance. Si la morphine est pour Wild un "passeport pour l’oubli", elle est aussi un compromis - "une forme de douleur contre une autre". Où que porte son regard, l’horizon semble bouché. "Ce qu’il ressentait était voisin de la nostalgie, une nostalgie non pas tournée vers le passé, mais concernant une version non vécue de son présent, une vie qu’il aurait pu mener. C’était une condition de son exil, cette sensation."
Précise et racée, l’écriture de Womersley séduit dès les premières pages. La noirceur n’empêche pas la poésie, comme lorsque la neige surgit inopinément dans le décor des fuyards. On est dans l’arrière-cuisine de la criminalité autant qu’au cœur des affres de la douleur du corps comme de l’âme, le tout rendu avec une sincère humanité. Lee et Wild ne sont pas des anges, mais impossible pour le lecteur de les condamner. D’autant que, ainsi que le rappelle Womersley, "il est toujours trop tard pour tirer des leçons".
La mauvaise pente Chris Womersley traduit de l’anglais (Australie) par Valérie Malfoy Albin Michel 331 pp., env. 20 €