Quand la fiction rend justice
Après deux recueils de nouvelles remarqués, Ferdinand von Schirach signe un premier roman interpellant. L’écrivain et avocat place l’Allemagne face à ses responsabilités à l’égard des victimes du nazisme.
Publié le 12-06-2014 à 19h07 - Mis à jour le 16-06-2014 à 09h19
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Après deux recueils de nouvelles remarqués, Ferdinand von Schirach signe un premier roman interpellant. L’écrivain et avocat place l’Allemagne face à ses responsabilités à l’égard des victimes du nazisme.Jusque-là, Ferdinand von Schirach avait puisé dans son expérience personnelle d’avocat berlinois pour écrire "Crimes" et "Coupables", deux recueils de nouvelles ciselées qui exploraient les ressorts de l’âme humaine tout en s’interrogeant sur les rouages de la justice ou le sens des peines prononcées. Avec "L’affaire Collini", son premier roman, porté par l’écriture concise, percutante, dépouillée à l’extrême qu’on lui connaît, il confronte l’Allemagne à la manière dont elle a jugé les criminels nazis - souvent à la légère ou de façon inique. "L’affaire Collini" a d’ailleurs provoqué un électrochoc chez ses compatriotes. Au point que, quelques mois après sa parution, une commission d’enquête indépendante a été instituée. Son objectif : évaluer l’empreinte laissée par le passé nazi sur le ministère fédéral de la Justice. C’est donc en brillant romancier que Ferdinand von Schirach a instruit le procès de l’Histoire - mais l’avocat n’était jamais loin.
Venons-en à ce roman intelligent et à ce qu’il véhicule. Se présentant comme journaliste au "Corriere Della Serra", Fabrizio Collini pénètre dans l’appartement d’Hans Meyer, qui l’attendait. Vingt minutes plus tard, cet entrepreneur respecté, l’une des plus grosses fortunes d’Allemagne, est sauvagement assassiné. Le coupable est arrêté sans résistance et avoue dans la foulée. Ce dossier étrange (Collini a mené une vie irréprochable, son mobile est incertain) est confié à un avocat commis d’office, Caspar Leinen, qui débute dans le métier. La tâche paraît impossible : non seulement Collini s’est muré dans le silence, refusant d’être défendu, mais Hans Meyer était le grand-père du meilleur ami d’enfance de Leinen. Après une brève enquête, le procès doit se dérouler sans surprise. Jusqu’à ce que le jeune conseil remarque un élément troublant, qui le pousse à se pencher sur le passé de Collini, cet enfant de Gênes qui avait neuf ans lorsque Mussolini se retrouva à la tête d’un gouvernement italien fasciste, sous protectorat du Reich.
"Chacun doit être à la hauteur de ses actes." Cette citation d’Hemingway, placée en exergue, résonne implacablement tout au long de ce roman magistral. Où vengeance, impunité, faute et amnésie ne peuvent résister au réquisitoire de von Schirach.
L’affaire Collini Ferdinand von Schirach traduit de l’allemand par Pierre Malherbet Gallimard 150 pp., env. 16,90 €