Michel Foucault, homme hors-norme
Anniversaire de la disparition précoce d’un tout grand esprit du XXe siècle. Auteur d’une pensée originale toujours en vogue à travers le monde.
- Publié le 19-06-2014 à 12h48
- Mis à jour le 23-06-2014 à 09h09
:focal(465x240:475x230)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/LPARG7WPGJAQBHMBRDHHIRTT2U.jpg)
Anniversaire de la disparition précoce d’un tout grand esprit du XXe siècle. Auteur d’une pensée originale toujours en vogue à travers le monde.Le 25 juin 1984, il y a trente ans, la mort d’un homme. L’un des premiers, d’abord, à payer un fatal tribut à la nouvelle peste d’une fin de siècle tourmentée qui en avait déjà fini depuis dix ans avec les Trente Glorieuses. Et puis, surtout, un homme qui avait pensé précisément la sexualité, comme la prison, la folie, la médecine, et le pouvoir en général. Objets nouveaux en philosophie. Une pensée complètement originale du XXe siècle, qui essaimera d’ailleurs, et durablement, à travers le monde.
Une pensée subversive, certes, dite de rupture et de transgression, qui renouvelle l’idée du sujet, l’invention de soi. Chef de file du structuralisme, bien qu’il s’en défende, il interroge, creuse et dévide la norme, la normalité, la normativité. Et brise les carcans du Sujet enchaîné. Dans "L’Archéologie du savoir" (Gallimard, 1969), il s’écrie du reste : "Ne me demandez pas qui je suis et ne me demandez pas de rester le même; c’est une morale d’état civil; elle régit nos papiers". Car se figer, à ses yeux, c’était mourir. Lui qui n’excluait pas d’ailleurs, un jour, la "mort de l’homme". Entendant par là que l’être libre et sartrien pourrait bientôt s’effacer "comme à la limite de la mer un visage de sable".
Michel Foucault naît à Poitiers le 15 octobre 1926. Entré à l’École normale supérieure à 20 ans - il y rencontrera Georges Canguilhem, son mentor, et surtout Louis Althusser, philosophe marxiste freudien, qui le fera adhérer au Parti communiste en 1950 -, il obtient l’agrégation de philosophie en 1951. Intellectuel engagé, philosophe, historien, sociologue, psychologue et spécialiste du langage, il s’intéresse aux "irréguliers" et aux groupes en marge de nos sociétés : les fous, les détenus, les homosexuels, les immigrés, les insurgés de Mai 68.
Autour de cette année-là, membre militant de la Gauche prolétarienne (GP) d’obédience maoïste, il fonde en 1971 avec Daniel Defert, son compagnon, le Groupe Information sur les Prisons (GIP), qui dénonce les conditions de détention et écoute cet univers du silence. Aussi, dans l’un de ses livres clés, "Surveiller et punir" (1975), établit-il une claire et nette translation entre le monde carcéral et l’usine, l’atelier, l’école, la caserne ou l’hôpital, voire même le mariage, autant d’institutions où il observe "la naissance d’une société disciplinaire dans laquelle le savoir demeure lié à un ensemble de pratique du pouvoir". Ce qu’il nomme le savoir-pouvoir.
Tant dans cet ouvrage que dans sa monumentale "Histoire de la folie à l’âge classique" (Gallimard, 1972), fruit de la thèse "Folie et déraison" qu’il avait soutenue à la Sorbonne en 1961, Foucault s’adonne à une critique des sciences humaines, déniant leur prétention à atteindre une connaissance objective de l’homme, car elles ne font au fond que souligner la ligne de démarcation entre celui qui s’érige en norme et la figure même de l’aliéné.
Dans cette "Histoire de la folie", il se demande fort opportunément comment l’on a pu passer de l’expérience humaniste de la folie au Moyen Âge à celle, la nôtre, qui la confine dorénavant dans la maladie mentale, l’excluant et l’aliénant de ce fait même. La fondation de l’Hôpital général en 1656 invente un espace d’internement pour tous les vagabonds, libertins, débauchés, oisifs, mendiants, pauvres, fous errants et insensés.
Mais entre-temps avait paru, en 1966, son opus magnum, "Les Mots et les Choses", authentique archéologie des sciences humaines, qui préfigure peut-être Mai 68, avant Guy Debord et Raoul Vaneigem. Empruntant à Nietzsche le concept de généalogie, il y a cherché à décrire la genèse de nos mœurs et institutions. Dans le "curieux projet d’enfermer pour redresser", pierre de touche de notre société disciplinaire, il perçoit le moyen pour le pouvoir de s’assurer la maîtrise des individus.
Autour de Foucault, dès cet instant, s’installe une inexorable polémique au cœur de l’intelligentsia parisienne, qui voit se liguer ensemble des marxistes et des chrétiens de gauche, tout prêts à dénoncer en même temps un anti-humanisme réactionnaire et un désengagement politique nihiliste. En ce Mai effervescent, de fait, il ne discernera jamais aucun espoir révolutionnaire déçu, ni même l’expression objective d’une vraie lutte des classes. Il s’attaque ainsi directement à Sartre et au mythe de l’Histoire.
Tandis qu’il s’attable encore à une "Histoire de la sexualité" en trois tomes depuis la Grèce antique, le sociétaire du Collège de France, où il dispense ses célèbres cours, résolument à gauche, s’implique dans des causes militantes diverses - la révolution iranienne, singulièrement, où il se fourvoie assurément sur la bonne foi des ayatollahs. Insatiable voyageur, il adorait enseigner à Berkeley, en Californie, où justement apparaît au début des années 1980 ce qu’on appelle encore le "cancer gay". Il y succombera d’ailleurs à l’été 1984, à 57 ans.
La Société punitive. Cours au Collège de France. 1972-1973 Michel Foucault EHESS-Gallimard-Seuil 349 pp., env. 26 €