Définitivement en devenir
Où Bruce Machart confronte ses personnages à leurs fêlures intérieures.
Publié le 23-06-2014 à 08h55 - Mis à jour le 23-06-2014 à 09h01
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Où Bruce Machart confronte ses personnages à leurs fêlures intérieures.Après "Le sillage de l’oubli" (2012), un premier roman situé au Texas en 1895 et contant la vie d’une famille de proprétaires terriens sur fond de douleur et de sang, de brutalité et de déchirements, où nature et hommes étaient interdépendants, Bruce Machart revient avec "Des hommes en devenir". Soit une collection de nouvelles qui confirment le talent de cet écrivain qui a grandi au Texas avant de s’installer dans le Massachusetts.
Le patron d’une scierie vient de perdre un de ses employés, broyé par ces machines qui ne tolèrent aucune inattention. Un garçon de neuf ans qui n’a jamais connu son père, mort en soldat avant sa naissance, passe une partie de l’été auprès de son grand-père, espérant par là découvrir qui fut celui à qui il doit la vie. Un homme vient de se faire bannir par sa copine qui lui reproche de ne pas trouver d’emploi. Un "taxi" sillonne les routes du Texas avec, dans son coffre, des colis très particuliers. Un jeune couple un peu distrait se rend un soir au Walmart pour des achats de première nécessité destinés à leur bébé. Un aide-soignant du service des grands brûlés évolue entre la souffrance et les cris de ses patients et son propre effondrement.
Ils ont perdu un enfant, un père, une femme, une fiancée. La vie pour eux a pourtant continué, tant bien que mal, même si la solitude est leur plus fidèle compagne. Et à cet instant que le nouvelliste a choisi de mettre en exergue, la déception perçue dans le regard de l’autre ne sera que broutille à côté de l’appréhension que l’individu fait de ses propres failles. "Et moi, je me demande comment un homme peut être suffisamment homme pour entendre ça et continuer à plaisanter. Suffisamment homme pour donner de lui-même exactement ce qu’on en attend." Car le moment est venu pour les protagonistes de ces dix textes de se confronter au miroir sans concession que leur tend Bruce Machart. Et pour accentuer leur incomplétude ou préfigurer leurs manquements, leurs corps souffrent, là d’une malformation, ailleurs de séquelles irréversibles.
Invité de la deuxième édition de l’intime festival (qui se tiendra au Théâtre de Namur les 29, 30 et 31 août prochains), créé à l’initiative de Benoît Poelvoorde et de Chloé Colpé, Bruce Machart explore, de son écriture qui vrille à l’âme, les fêlures inhérentes à toute vie, renvoyant avec force à cette question : ne sommes-nous pas définitivement des hommes en devenir ? Et si nos petitesses, une fois comprises et acceptées, faisaient in fine notre grandeur ?
Des hommes en devenir Bruce Machart traduit de l’anglais (Etats-Unis) par François Happe Gallmeister 194 pp., env. 22 €