L’argent qui pourrit tout
Le juge Michel Claise publie un terrible roman sur les mafias et l’argent sale à l’Est. Basé sur le témoignage bien réel d’un juge "exfiltré" en Belgique.
Publié le 03-07-2014 à 11h57 - Mis à jour le 04-01-2021 à 17h02
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Le juge Michel Claise publie un terrible roman sur les mafias et l’argent sale à l’Est. Basé sur le témoignage bien réel d’un juge "exfiltré" en Belgique.Les poches cousues" est un livre passionnant dont on sort groggy. Certes, il est marqué "roman" et, certes, le juge Claise est un bon romancier qui sait mener une histoire, lui donner du souffle, en faire un thriller qui se lit d’une traite. Mais l’histoire racontée se base sur des faits réels et ils sont terribles. "La vérité est encore pire", nous dit-il.
Il raconte le drame d’un juge "intègre" dans un pays de l’Est pourri par l’argent. Dans le roman, il se nomme Mikhaïl Mikhaïlovitch. Après avoir lutté durant des années et enduré les pires menaces, il a dû s’exiler en Belgique il y a quatorze ans, a pris le nom d’Alain-Charles Faidherbe, a refait des études de droit et travaille comme juriste au Parquet à Bruxelles. Il cosigne ce roman si impressionnant.
Michel Claise, juge d’instruction bruxellois, spécialisé dans la criminalité financière mais aussi romancier, voulait écrire cette histoire "pour ouvrir les yeux des lecteurs. Qu’ils se rendent compte de l’ampleur du phénomène de l’argent sale et des mafias, et des difficultés que nous avons à les combattre. Même dans nos pays. Vous vous rappelez du scandale lors de la publication des Offshore Leaks, mais ensuite tout fut vite oublié."
L’histoire se déroule dans un pays de l’ex-bloc de l’Est qui demande aujourd’hui son adhésion à l’espace Schengen, "un pays à deux heures d’avion de chez nous". Il n’y en a que deux : la Bulgarie et la Roumanie. Michel Claise ne veut pas être plus précis. Mais ouvrir davantage nos frontières vers eux, c’est amener encore plus de cet argent sale venu de tous les trafics et qui pourrit tout.
"Pour l’économie, la planète est une circonférence sans frontières", dit Michel Claise, "mais pour la répression, les frontières sont là. L’économie illicite roule en Porsche et nous n’avons que des 2CV avec comme seule stratégie possible de créer des embouteillages."
Enfant sous le régime soviétique, Mikhaïlovitch rêvait d’être juge. Son idole lui avait dit qu’il devait avoir, comme ligne de conduite, de garder "les poches cousues", refuser l’argent de la corruption. Dès qu’il entra dans le système, les tentations affluèrent : l’argent contre un jugement favorable, un appartement de fonction et une voiture de luxe s’il se soumet "aux ordres", les filles faciles, l’alcool. Pour celui qui refuse et veut dire le droit et protéger l’innocent, ce sont les brimades, puis les menaces, les relégations d’un tribunal à l’autre, la multiplication des pièges pour le pousser à la faute.
À la chute du Mur, le juge aux poches cousues espère un changement. Mais c’est encore pire. La "nomenklatura" soviétique est remplacée par la mafia russe et des oligarques plus puissants et dangereux que les tsars. Ils achètent tout : les partis, les élections, les juges et des hommes de main prêts à tout.
Il fallait un juge écrivain pour décrire si bien la vie horrible faite à ce petit juge. On tente de le piéger, de soudoyer de faux témoins, de l’entraîner dans des bars où, discrètement, on le filme. La seule faiblesse de ses ennemis est d’être bêtes. Mais ce combat du pot de terre face aux pots de fer était perdu d’avance. La fille aînée de Mikhaïl est assassinée en pleine rue quand elle marchait aux côtés de son père et de sa mère. Le responsable est un oligarque appelé Soutine, comme le peintre dont il collectionne les œuvres.
Le juge a bien quelques amis et l’estime de son personnel et de la presse libre, il a pu ameuter les milieux européens. Mais cela ne suffit pas, on tente d’enlever en pleine rue sa seconde fille, il y a un contrat sur sa tête et celles de sa famille. Il ne lui reste qu’à fuir à l’ambassade de Belgique.
Tous ces faits sont vrais même s’ils sont romancés. Le livre est dédié à Diana, la fille d’Alain-Charles Faidherbe, tuée par les mafias.
Quatorze ans après son arrivée en Belgique, le juge exilé pense qu’il y a toujours un risque à dire de quel pays il vient. Depuis ce roman, Michel Claise a entendu des étudiants turcs dire que ce n’était pas meilleur chez eux. Même en Grèce, la situation est très mauvaise. Si en Belgique, le système judiciaire est sans comparaison, Michel Claise éprouve bien des difficultés à lutter contre cet argent sale, car, dit-il, l’économie illicite rapporte à l’économie licite et cela suscite des freins.
La préface se conclut par une phrase terrible : "La criminalité financière est la peste de notre temps. Une bactérie contagieuse. Et si nos démocraties, sans s’en rendre compte immédiatement, en étaient déjà infectées ?"
Un livre "pour que les institutions européennes sachent que la chute du Mur n’a fait qu’aggraver une situation totalement pourrie. Et pour que, pénétrés par le flux de l’argent sale, nos pays ne ressemblent un jour à ces fausses démocraties qui les courtisent".
Les poches cousues Michel Claise et Alain-Charles Faidherbe Editions Luce Wilkin 285 pp., env. 21 €