Aux côtés d’enfants perdus
De la guerre de Sécession aux années 1940, deux romans de formation interrogent le devenir. Comment grandir quand on a vécu le pire ?
Publié le 07-07-2014 à 09h38
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De la guerre de Sécession aux années 1940, deux romans de formation interrogent le devenir. Comment grandir quand on a vécu le pire ?Vivre à Evergreen représentait pour Emil et Eveline un choix de vie. Jeunes mariés, bientôt parents, ils avaient décidé de braver l’inconfort d’une vieille bâtisse en bois et la nature sauvage du Nord du Minnesota pour entamer leur vie commune. Mais ces êtres enthousiastes qui n’ambitionnaient qu’une vie tranquille vont bientôt affronter le pire. Retourné en Allemagne au chevet de son père en cette funeste année 1939, Emil est enrôlé de force dans l’armée. Forte d’un "Tu peux être ce que tu veux" proclamé par son père, Eveline ne pouvait se douter qu’une jeune femme isolée était une proie facile. Violée par un inconnu, elle choisira d’abandonner sa petite fille aux portes d’un orphelinat.
Elles s’appellent Eveline, Naamah et Racina. Sur trois générations de femmes et autant de temps narratifs, Rebecca Rasmussen, dont "Evergreen" est le second roman, retrace la vie d’une famille prise au piège du mal. Explorant la solitude, la peur et l’emprise qu’a le passé sur ses personnages, elle signe un texte émouvant sans être mièvre qui s’insinue au plus près des soubresauts de l’âme tout en offrant à la nature un rôle intéressant. Quel genre de mère allait être Eveline après pareil traumatisme ? Comment grandir en ignorant tout de ses origines dans un orphelinat où l’autorité brise les êtres ? Du deuil de soi à la quête du bonheur, de la vraie générosité aux appels d’un ailleurs différent, Rebecca Rasmussen campe au plus près de personnages qu’elle investit avec empathie. Pour s’immiscer au cœur du ressenti d’enfants perdus qui tentent, malgré ce que le destin leur a imposé, de se (re) construire.
C’est un autre enfant perdu qui est au cœur du "Voyage de Robey Childs". S’il est moins connu que ses comparses d’université Raymond Carver ou Tobias Wolff, Robert Olmstead n’en est pas moins un écrivain digne d’intérêt. Qui offre ici une plongée impressionniste au cœur de la guerre de Sécession, aux côtés d’un adolescent de quatorze ans que le conflit fratricide va précipiter dans l’âge adulte. Un matin de 1863, la mère de Robey Childs envoie son fils unique sur les routes à la recherche de son père soldat qu’elle pressent en grand danger. Dépourvu de tout, seulement vêtu d’une veste aux couleurs des deux armées, réversible en fonction des circonstances, Robey se lance dans un prériple qui va lui ouvrir les yeux sur la nature des hommes et mais aussi la sienne. Chevauchant dans les montagnes bleutées vers le nord, témoin d’actes peu recommandables, il est lui-même contraint à quelques larcins et délits pour survivre. Aussi, il "ne s’étonnait pas de tout ce qui était arrivé jusqu’alors, il se demandait plutôt ce qu’il devait en penser".
Habile à dépeindre, de sa plume racée, la connivence entre l’homme et le cheval, à dresser le portrait d’un être en formation, Robert Olmstead signe un roman initiatique pétri d’aventure. Où découvrir que l’on est "un de ces êtres humains voués à l’échec" devient, in fine, source de réconfort.
Evergreen Rebecca Rasmussen traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Josette Chicheportiche Mercure de France 426 pp., env. 25,50 €
Le voyage de Robey Childs Robert Olmstead traduit de l’anglais (Etats-Unis) par François Happe Gallmeister 230 pp., env. 23,10 €