Jean-Marie Blas de Roblès: "Je ne me satisfais pas de ce monde"
Jean-Marie Blas de Roblès signe "L'Ile du Point Némo", une fantastique odyssée romanesque. Dans les pas de Verne, Doyle et Dumas, il rend hommage à l'imaginaire. Rencontre avec un raconteur d'histoires.
Publié le 16-09-2014 à 14h27
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Né en 1954 à Sidi-Bel-Abbès, Jean-Marie Blas de Roblès est archéologue et écrivain. Autrement dit, chasseur de trésors. Pendant plus de vingt ans, chaque été, il a effectué des fouilles sous-marines dans les vestiges d’Apollonie de Cyrène en Libye. En 2008, il a publié l’impressionnant roman "Là où les tigres sont chez eux", fruit de dix années d’écriture couronné du Prix Médicis. En cette rentrée littéraire, il signe une nouvelle épopée foisonnante, une odyssée fantastique, une chasse au trésor trépidante agrémentée de réflexions sur le pouvoir et la société contemporaine.
Expédition à travers les terres et les mers
Un rare diamant jaune a été dérobé par l’Enjambeur Nô à Lady MacRae. John Shylock Holmes, aidé par Martial Canterel, dandy français adepte des vertiges de l’opium, et son majordome noir, Grimod de La Reynière, va s’élancer à la recherche de ce trésor volé. Depuis les côtes françaises, l’équipée cocasse mène une expédition à travers les continents en avion, en train avec le Transsibérien, en ballon dirigeable, en goélette, jusqu’à Pékin, Sydney puis l’île du Point Némo, point d’inaccessibilité des océans. Ces aventures rocambolesques, où les enquêteurs feront face à des attaques de cosaques, des énigmes impénétrables ou la découverte de pieds droits coupés de leurs propriétaires, s’enchâssent grâce à une mise en abyme vertigineuse dans le récit d’Arnaud, ancien propriétaire d’une fabrique de cigares où se perpétue la tradition de la lecture à voix haute. Reconvertie en usine d’assemblage de liseuses numériques dirigée par un Chinois voyeur, elle abrite une multitude de personnages réjouissants.
Dans ce tourbillon d’histoires soufflantes et mythiques, on voyage à travers les terres et les mers mais aussi à travers la littérature. Verne, Dumas, Flaubert, Mann, Doyle et bien d’autres sont convoqués au fil de cet extraordinaire hommage à l’imaginaire.
"L’Ile du Point Némo", Jean-Marie Blas de Roblès, Zulma, 464 pp., env.22,50 €
Le temps
Contemporain. “On est toujours en train de tourner autour de l’île du Point Némo, un lieu achronique. Il y a beaucoup de références au XIXe siècle mais on découvre aussi que beaucoup de choses se sont passées : les Chinois délocalisent leurs entreprises en France, l’Ecosse est indépendante, il y a la guerre en Ukraine et en Sibérie (d’ailleurs cela m’effraie d’être si visionnaire...). Je suis de mon époque même si je laisse parfois supposer que je suis du XIXe siècle parce que j’aime la belle écriture. Je suis tout à fait contemporain. Dans mes histoires transparaît un reflet de ce qui m’entoure, un constat de civilisation mais je n’écris jamais avec une idée préalable pour dénoncer ceci ou cela… L’important, c’est l’histoire.”
Quête
Rêver. “Dans le cas du Point Némo, il s’agit d’une dystopie, le monde présenté n’est pas franchement attrayant. Tout au long du roman, il y a une quête ininterrompue dont les personnages savent qu’elle est vaine, d’une certaine façon. Cette recherche continuelle est une sorte d’excès et d’intransigeance qui m’est propre. Depuis mes treize ans, je ne me satisfais pas de ce monde-là. J’ai beau comprendre les exigences économiques, etc., je n’arrêterai jamais de rêver ce monde autrement, plus humain et plus juste.”
Le Point Némo
Mythique. “Le Point Némo, c’est une des coïncidences heureuses quand on commence à chercher et se documenter : on tombe parfois sur des choses qui sont encore meilleures que ce qu’on avait imaginé. Ce point, nommé Némo en l’honneur du capitaine de Jules Verne, est un point géographique virtuel, le plus éloigné de toutes terres émergées. Il se trouve dans le Pacifique Sud, à environ 2 700 kilomètres de l’île de Pâques, de la Terre de Feu et de la première rive de l’Antarctique. Métaphoriquement, c’est un point fantastique, il rappelle le nom du personnage que je voulais ressusciter et dont je ne me suis jamais remis de la mort. Il symbolise aussi le point le plus extrême de la fiction et la grande liberté que je me suis donnée pour écrire ce livre. Je ne me suis rien interdit et jamais soucié de la vraisemblance.”
Personnages extraordinaires
Poètes. “Je suis fasciné depuis longtemps par la tératologie et l’anormalité. J’ai une grande sympathie pour tous ces êtres borderline, ces réprouvés qui sont dans le flou, à la marge, soit parce qu’ils ont quatre jambes soit parce qu’ils sont nains ou fous. Cette anormalité, c’est celle du poète.”
Lectures fétiches
Enchantement. “Mes lectures fétiches nourrissent ‘L’Ile du Point Némo’, elles sont mon jardin secret. Les gens de mon âge ont appris à lire et découvert l’emportement de la littérature avec des auteurs comme Verne ou Dumas. Ces premières impressions sont fondatrices. J’ai découvert la magie et la délectation de la lecture avec ces écrivains. Aujourd’hui, on n’est plus capable de lire ces livres qu’on a adorés. J’ai lu plusieurs fois ‘20 000 lieues sous les mers’ mais quand l’enchantement est passé, on découvre la maladresse de l’écriture, les répétitions et l’arsenal pédagogique déployé. Avec ce roman, j’ai voulu m’écrire un Jules Verne ou un Conan Doyle à ma manière pour retrouver le plaisir entier de la lecture. Il est donc né du désir de me faire plaisir en espérant ensuite faire plaisir à d’autres lecteurs.”
Un roman total
Arts. “Le roman total m’a toujours séduit, ce qu’on appelle d’un nom bien prétentieux, la synesthésie. Essayer à partir d’un art de représenter les autres arts, c’est
ce que j’avais essayé de faire avec ‘Là où les tigres sont chez eux’. Comme à l’opéra, allier la musique, le texte, la lumière, c’est quelque chose qui me fascine et que j’aime faire pour ne pas se cantonner à une seule facette. Chez moi, j’ai des dessins, des peintures, de la musique que j’ai composée, des programmes informatiques créés autour du roman. Tout devrait servir la poésie.”
Dans sa bibliothèque
Inspiration. “J’ai environ 20 000 livres. Il y a de beaux rayonnages de Jules Verne ou Flaubert, beaucoup de livres du XIXe siècle mais aussi beaucoup de journaux, ‘L’Illustration’ ou ‘Le Magasin pittoresque’, qui sont pour moi des mines d’inspiration aussi bien pour les gravures sur bois que pour les faits divers. J’y trouve mes noms de personnages par exemple.”
S’affranchir des codes
Littérature. “J’aime mélanger les codes narratifs, les adapter à mes histoires, les tisser, les emberlificoter pour me laisser emporter. Pour ‘L’Ile du Point Némo’, j’ai joué avec les codes littéraires du roman feuilleton à la Jules Verne ou à la Dumas mais aussi avec les codes de la littérature tout court avec des allusions à Flaubert, Thomas Mann… avec le risque de tomber dans le pastiche, un danger que je voulais éviter.”