Le livre des bifurcations
Prix Nobel en 2013, Alice Munro signe avec "Rien que la vie" un recueil qu’elle a annoncé comme le dernier. Des détours et des tentations, des chemins tracés dont parfois on s’écarte, des trajectoires imprévues.
Publié le 19-10-2014 à 19h48 - Mis à jour le 20-10-2014 à 09h17
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Prix Nobel en 2013, Alice Munro signe avec "Rien que la vie" un recueil qu’elle a annoncé comme le dernier. Des détours et des tentations, des chemins tracés dont parfois on s’écarte, des trajectoires imprévues.C’est en "souveraine de l’art de la nouvelle contemporaine" qu’Alice Munro, née en 1931 dans la province canadienne de l’Ontario, reçut l’an dernier le prix Nobel de littérature. "Dear life" - qu’elle annonça comme son ultime publication - était alors déjà paru.
"Chère vie"… Le titre original (devenu "Rien que la vie" dans la traduction française pleine de rythme et de sensibilité de Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso) teinte ces quatorze nouvelles d’une douce ironie. Munro ne fait pas sans raison songer à Tchekhov, à sa minutie empreinte de lyrisme, à son sens si singulier de la description.
Qu’elles peignent des années ou quelques heures, ces histoires empruntent volontiers une temporalité peu marquée sans pour autant être floue (et où rôde, présent ou souvenir, le spectre de la Seconde Guerre mondiale). La géographie en revanche est plus affirmée, de la Colombie-Britannique et Vancouver (notre photo) à Toronto et diverses bourgades ontariennes. Vie locale et transhumances, choisies ou subies, architecturent ces récits. Des trajets s’esquissent puis digressent, comme parfois la parole ou l’esprit. À la troisième ou à la première personne, au féminin ou au masculin, la narration ici se tend, là se hérisse, ailleurs se précipite telle une sédimentation chimique, pour bientôt retrouver la fluidité première. Primale. Et se heurter à la disparition sous divers avatars.
Des gens ordinaires - poète épouse d’un scientifique, jeune homme solitaire, pasteur, adolescente, gouvernante, maris, femmes, amants, enfants… - peuplent ce recueil où l’auteure d’"Amie de ma jeunesse", des "Lunes de Jupiter" ou du plus récent "Trop de bonheur" semble avoir mis beaucoup d’elle-même, au point d’en avertir le lecteur au moment du "Finale" de quatre récits ou moments : "Je crois qu’elles sont les premières et dernières choses - et aussi les plus proches - que j’aie à dire de ma propre vie."
Reste que la fiction, qu’Alice Munro maîtrise et cisèle comme peu de ses contemporains, puise dans la vie ses plus amples et minuscules caractères, ses peu glorieux travers, ses humaines faiblesses et ses élans secrets.
Rien que la vie Alice Munro traduit de l’anglais (Canada) par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso L’Olivier 320 pp., env. 22 €.