Le "Poche" de la semaine : Alan Hollinghurst, "L’enfant de l’étranger"
C’est à Cambridge, en 1913, que George Sawle rencontre Cecil Valance. Ils ne sont pas issus du même monde, et quelques années les séparent. Si l’assurance et le charisme de Cecil se révèlent écrasants, l’amour éteint toute offense.
Publié le 27-02-2015 à 05h39 - Mis à jour le 27-02-2015 à 09h32
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Chaque vendredi, La Libre sélectionne un livre paru en format "Poche" et vous en propose la critique.
Ce livre a été auréolé de critiques élogieuses parues dans la presse britannique. C’est un écrivain que William Boyd considère comme le plus grand styliste anglais contemporain. Lire "L’enfant de l’étranger" d’Alan Hollinghust, c’est s’attendre au meilleur. Et ne pas être déçu. Le lauréat du Booker Prize 2004 (pour "La Ligne de beauté") s’y révèle orfèvre des mots, maître des atmosphères, subtil peintre des bassesses et autres vanités, fin observateur des classes sociales.
C’est à Cambridge, en 1913, que George Sawle rencontre Cecil Valance. Ils ne sont pas issus du même monde, et quelques années les séparent. Si l’assurance et le charisme de Cecil se révèlent écrasants, l’amour éteint toute offense. Accueilli le temps d’un week-end dans la modeste propriété des Sawle, Cecil y rencontre la sœur de George, Daphné, seize ans, qu’il charme habilement. C’est aussi là qu’il écrit un poème, vif hommage à la complicité du trio. Lorsque Cecil tombe au champ d’honneur, en France, trois ans plus tard, sa poésie devient le lieu d’une étrange vénération. Les siens y trouvent le moyen de célébrer sa flamboyance, son charme, son courage, vestiges d’une époque engloutie. De manière surprenante, ce culte défiera le temps et la raison. Comme un révélateur de la vacuité de l’existence de ces enfants de l’aristocratie de l’Angleterre post-victorienne : à quoi se raccrocher si ce n’est à cet instant de gloire, si éphémère fût-il ? De quoi parler si ce n’est de ce destin prétendûment singulier ?
A partir des écrits et de la personnalité de cet imaginaire poète mineur, Alan Hollinghurst construit une intelligente comédie de mœurs, qui balaie plusieurs décennies et générations pour mieux en souligner les aigreurs, les regrets, les secrets. Les choses se masquent autant qu’elles se révèlent, les individus piétinent, les ambitions sont contrariées, les enfants ne portent pas toujours le nom de leur vrai père, l’alcool aide à vivre, la sexualité a sa logique, l’aristocratie ne se reconnaît plus. C’est cruel sans en avoir l’air, la douleur frise avec le comique, et la lecture devient plaisir. Que demander de plus ?
"L’enfant de l’étranger", Alan Hollinghurst, traduit de l’anglais par Bernard Turle, Le Livre de Poche n° 33584, 765 pp.