Le courage d’être heureux par Jean d’Ormesson
L’écrivain-académicien relève de cette catégorie spécifiquement française d’hommes de lettres pour qui la politique est le prolongement naturel de la vie littéraire et artistique.
- Publié le 14-09-2015 à 09h44
- Mis à jour le 18-12-2020 à 19h17
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Jean d’Ormesson est surtout connu par des romans et des essais où il évoque d’une plume enchanteresse Dieu et le Big Bang, la musique de Mozart ou les fresques de Piero della Francesca, un coucher de soleil sur Venise ou les femmes que Chateaubriand a aimées. Moins connu, sauf des lecteurs du "Figaro" et du "Figaro Magazine", est l’observateur de la vie publique principalement française. Depuis 1981 et l’arrivée de M. Mitterrand à l’Elysée, il y publie des commentaires d’actualité; un des derniers est un cri d’alarme en faveur des chrétiens d’Irak menacés d’extinction. Ils sont rassemblés aujourd’hui dans un gros volume.
L’écrivain-académicien relève de cette catégorie spécifiquement française d’hommes de lettres pour qui la politique est le prolongement naturel de la vie littéraire et artistique. Elle connut son âge d’or entre 1815 à 1848, quand tout était à refonder après les bourrasques de la Révolution et de l’Empire : Chateaubriand, Victor Hugo, Balzac, Benjamin Constant, Lamennais, Lamartine. Elle resurgit lors de l’Affaire Dreyfus : Zola, Péguy, Barrès, Maurras, Jaurès. En 1945, il y eut encore Sartre, Camus, Mauriac. Depuis lors philosophes et sociologues ont envahi la presse écrite et télévisuelle. Jean d’Ormessson fait figure aujourd’hui de dernier des Mohicans.
A le lire, il apparaît comme un éditorialiste de droite et un intellectuel de gauche, ainsi que le relève finement Jacques Julliard dans sa préface. S’il ne ménage pas Mitterrand (surtout au début) et fustige parfois violemment l’action du Parti socialiste, il est le premier à reconnaître que le défaut majeur de la droite est "le manque de générosité". Et à proclamer que si elle renonce à la justice sociale, "elle est non seulement perdue, mais elle est à rejeter". Dans le même registre, on relèvera une estime amicale pour des hommes intègres comme Michel Rocard et Lionel Jospin, pour ne rien dire de sa connivence spirituelle avec le Mitterrand de la fin. A l’inverse, le courant n’est jamais passé avec Jacques Chirac, et il éprouve comme une fascination de grand-père pour les frasques de Sarkozy.
Si la France fait la matière première des articles ici rassemblés, Jean d’Ormesson professe de fortes convictions européennes et humanitaires. Il est même descendu sur le terrain, lors de la guerre de Bosnie, après avoir sonné l’alarme pour Dubrovnik. Il fut aussi un des premiers à réveiller les consciences face au génocide culturel dont la chrétienté d’Orient est menacée. Enfin, il dénonce volontiers le désenchantement dans lequel a sombré la France : "Nous avons renoncé au bonheur d’être Français. Ce qui manque, chacun le sait, c’est l’espérance. Ce qui règne, c’est la peur. La peur de ne plus être les meilleurs, de ne plus être le premier, de descendre la pente et de tomber dans le déclin". A ce spleen français, il oppose ce que Julliard appelle joliment le courage d’être heureux.
Signalons pour finir la parution du neuvième tome de la Correspondance générale de Chateaubriand, écrivain cher au cœur de Jean d’Ormesson. Etabli et annoté par Agnès Kettler, il couvre les années 1831-1835. A l’arrivée de Louis-Philippe sur le trône, l’ambassadeur de France à Rome renonce à tout poste officiel. Il songe même à s’exiler en Suisse. Mais très vite il se relance dans la bataille en faveur des Bourbons, ce qui lui vaudra notamment deux semaines d’emprisonnement à la préfecture de Paris. Pour gagner sa vie, il traduit "Le Paradis perdu" de Milton. Il travaille inlassablement à ses Mémoires. Sa relation fusionnelle avec Mme Récamier ne l’empêche pas de connaître un ultime amour avec Hortense Allart, "dernière muse, dernière enchanteresse, dernier soleil".
Dieu, les affaires et nous Jean d’Ormesson Laffont 638 pp., env. 24 €
Correspondance générale Chateaubriand tome IX Gallimard 674 pp., env. 39 €