L’ombre avance sur le terrain de jeu
Richard Ford offre à Frank Bascombe, son personnage récurrent, un ultime tour de piste. Où le retraité observe, impuissant, le désastre causé par l’ouragan Sandy. Sans rien avoir perdu de sa verdeur.
Publié le 21-09-2015 à 13h30
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Richard Ford offre à Frank Bascombe, son personnage récurrent, un ultime tour de piste. Où le retraité observe, impuissant, le désastre causé par l’ouragan Sandy. Sans rien avoir perdu de sa verdeur.Frank Bascombe est une vieille connaissance. A l’heure de plonger dans "En toute franchise" ("Let Me Be Frank With You"), on s’interroge sur les effets que l’âge aura sur le personnage récurrent de Richard Ford - qui dit clore ici le cycle qu’il lui a consacré. Et l’on est tout de suite rassuré : Frank n’a rien perdu de sa tendre ironie, de son intransigeante observation des rapports humains, de sa sérénité. Quant à Richard Ford (1944, Jackson, Mississippi), sa plume incisive, sans concession ni compromis, procure dans ces pages un rare bonheur de lecture. Dont on sort vivifié.
Désormais retraité (il fut journaliste sportif puis agent immobilier), Frank mène une existence paisible aux côtés de Sally, sa seconde épouse. L’ouragan Sandy va le sortir de sa quiétude. En quatre chapitres qui pourraient avoir une existence autonome, Richard Ford livre quatre épisodes se déroulant à l’approche de Noël - rendez-vous familial de tous les dangers. Frank, qui vendit naguère plusieurs bâtisses aujourd’hui sinistrées ou détruites - dont la sienne, sise à Sea-Clift, le long de la mer qui jouxte le New Jersey -, doit à présent admettre "à quel point les maisons sont quantité négligeable, une fois qu’elles ne sont plus là". En balayant les murs, l’ouragan a effacé des cadres de vie, des souvenirs, des certitudes. Si Frank, qui vit désormais à l’intérieur des terres, est épargné, il se sent désarmé face aux conséquences du cataclysme.
Sans pour autant se replier complètement sur lui-même, Frank a entrepris de se délester de ses amis. Mais lorsque Arnie, qui lui a racheté sa belle demeure de Sea-Clift, l’appelle pour lui demander de l’accompagner sur les lieux du sinistre, il accepte. De même lorsqu’un ancien ami, désormais mourant, demande à lui parler. Et puis Frank est cet être serviable qui ouvre sa porte à une ancienne habitante de la maison où il vit, qui apporte à son ex-femme l’oreiller orthopédique qu’elle attend dans son "mouroir haut de gamme". Bienveillant, toujours.
Autour de Frank rôdent la maladie et la mort, le désastre et la solitude. S’il admet que l’ombre avance sur son terrain de jeu, Frank refuse pourtant d’être la cible de la perte et de la tristesse. Jour après jour, il est résolu à profiter de la vie, avec pour seule ambition d’être fidèle à lui-même. Son élan, sa sincérité, son regard font de lui un être précieux. Que l’on quitte à regret.
En toute franchise Richard Ford traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Josée Kamoun éd. de L’Olivier 234 pp., env. 21,50 €