Le Roi-Soleil, ors et ombres
A sa mort, une page se tourne. Superbe synthèse du règne par Joël Cornette. Dictionnaires, propos du roi, un recueil de portraits ont marqué l’anniversaire.
Publié le 24-09-2015 à 12h40 - Mis à jour le 28-09-2015 à 08h56
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A sa mort, une page se tourne. Superbe synthèse du règne par Joël Cornette. Dictionnaires, propos du roi, un recueil de portraits ont marqué l’anniversaire.Le roi Louis XIV est mort, le 1er septembre 1715, dans ses appartements de Versailles, en public. Il sut conserver dans son agonie la maîtrise de soi qu’il s’était imposée dans l’exercice du pouvoir et ses relations avec les personnes. Il pria beaucoup, se préparant à comparaître devant le Souverain juge. Saint-Simon, qui ne l’aimait guère mais qu’il fascinait, témoignera : "Il était uniquement occupé de Dieu, de son salut, de son néant". Et il lui rendra l’hommage qu’au moment de quitter la scène qu’il avait occupée depuis son accession au trône à l’âge de cinq ans, il offrit : "le spectacle le plus touchant, qui le rendit admirable".
Avec sa mort, une page se tourne. Le Roi-Soleil a porté le rayonnement de la monarchie au plus haut, mais déjà son crépuscule s’annonce. C’est pourquoi le 1er septembre 1715 apparaît à Joël Cornette, professeur à l’université de Paris VIII, comme une des journées qui ont "fait" la France. Dans un livre magnifique d’érudition et de synthèse, il brosse un bilan du règne en deux parties. Dans la première nous voyons le jeune roi - en fait, sa mère, la régente, et son parrain Mazarin - vaincre l’hydre des frondes qui gangrenaient le royaume; rebâtir l’Etat en créant notamment un appareil administratif qui s’est inscrit dans "le patrimoine génétique" de la France; favoriser son essor économique et commercial sous la solide impulsion de son ministre Colbert; étendre le prestige du royaume par ses victoires militaires et son rayonnement par un mécénat sans précédent (académies d’architecture, de peinture et sculpture, des sciences, de la danse…), l’encouragement du théâtre (Molière) et de la musique (Lulli), la construction du château de Versailles, conçu comme siège du gouvernement et théâtre de la grandeur royale.
Après la mort de son épouse et son mariage secret avec Mme de Maintenon (1683), la tonalité du règne s’assombrit. Le prince charmeur et charmant, amoureux de femmes et de fêtes, se mue en un défenseur intransigeant de la foi (marquée notamment par la révocation de l’Edit de Nantes qui assurait depuis le roi Henri IV un minimum de liberté religieuse aux protestants, révocation applaudie, il est vrai, par la majorité des catholiques, dont Racine, La Fontaine ou Mme de Sévigné).
Par ailleurs, des guerres interminables (en 1690, l’armée comptait 430 000 hommes pour 22 millions d’habitants) firent lever des impôts de plus en plus lourds qui frappaient surtout les paysans et les petites gens, tandis que des dévaluations successives ont permis de qualifier le roi de faux-monnayeur. La grande misère qui entraînait une sous-alimentation favorisant maladie et mortalité fit, lors des glaciales années 1692-94, quelque 2 836 000 victimes, soit en deux ans plus que la guerre de 1914-1918 en quatre !
Les terribles souffrances de la population entamèrent grandement la popularité et le prestige du roi. Deux grandes voix l’interpellèrent : Vauban, le génial constructeur de forteresses, et Fénelon, l’archevêque de Cambrai, qui n’hésita pas à écrire : "Tant de troubles affreux qui ont désolé l’Europe depuis plus de vingt ans, tant de sang répandu, tant de scandales commis, tant de provinces saccagées, tant de villes et de villages mis en cendre sont les funestes suites de la guerre de 1672, entreprise pour votre gloire…" Le roi fit mine de ne pas les entendre. Mais sur son lit de mort il fit cette recommandation à son arrière-petit-fils Louis XV : "Ne m’imitez pas dans les guerres".
Qu’en est-il de la personnalité même du roi ? Du jour de 1661 où il décida de n’avoir pas de Premier ministre, il consacra presque quotidiennement plusieurs heures par jour à l’étude des dossiers et aux délibérations avec les ministres (lire l’encadré). Par ailleurs, il fut un père aimant et attentif à sa progéniture, s’efforçant de faire cohabiter tant bien que mal ses enfants légitimes et les adultérins. Enfin, il fut un chrétien convaincu et pratiquant (on a calculé qu’il avait assisté à 30 000 messes et entendu 2 000 sermons). Si sa vie amoureuse ne le détourna jamais de la pratique religieuse, sa religion semble avoir été assez sommaire (il lisait peu par lui-même), ce qui le mit à la merci des gens d’Eglise, comme le constatait la princesse Palatine, sa belle-sœur : "Le roi croit tout ce que lui disent les prêtres et les faux dévots… Il croirait se damner s’il écoutait d’autres conseils".
Une approche originale de sa personnalité est fournie par Patrick Dandrey, professeur à la Sorbonne, qui a réuni quelque 600 propos du roi, recueillis par ses interlocuteurs ou prélevés dans ses écrits : "Tout l’art de la politique est de se servir des conjonctures" - "Nous ne sommes pas comme les particuliers, nous nous devons tout entiers au public" - "Les rois meurent comme les autres hommes", etc.
De son côté, Alexandre Maral, conservateur en chef au château de Versailles, a réuni ce qu’ont écrit sur lui Molière, La Palatine, Mme de Sévigné, Saint-Simon, Voltaire, etc. Mais pourquoi, diable, ne l’avoir pas complété par une table de matière et un index ?
Enfin, la collection "Bouquins" sort un "Dictionnaire Louis XIV" établi sous la direction de Lucien Bély, professeur à la Sorbonne, et un dictionnaire "Versailles" réalisé sous la direction de deux responsables du château, Mathieu de Vinha et Raphaël Masson.
La mort de Louis XIV Joël Cornette Gallimard 370 pp., env. 21 €
Louis XIV a dit P. Dandrey Les Belles Lettres 468 pp., env. 19 €
Louis XIV tel qu’ils l’ont vu A. Maral Omnibus 960 pp., env. 26
Dictionnaire Louis XIV Robert Laffont, "Bouquins" 1408pp., env. 35,95 €
Versailles Robert Laffont, "Bouquins" 992 pp., env. 33,70 €