Un roman sur le frère damné de Simenon crée la polémique
Paru fin août pour la rentrée littéraire et déjà sélectionné pour deux prix en France, le Renaudot et le prix Décembre, cet ouvrage, publié chez Grasset, met en lumière la part d'ombre de l'un des auteurs belges francophones les plus renommés, le père du commissaire Maigret.
Publié le 27-09-2015 à 08h09
"L'autre Simenon", roman de l'écrivain belge Patrick Roegiers, sur le frère compromettant de Georges, Christian, assassin et membre de l'organisation prohitlérienne belge, Rex, crée dès sa sortie la polémique.
Paru fin août pour la rentrée littéraire et déjà sélectionné pour deux prix en France, le Renaudot et le prix Décembre, cet ouvrage, publié chez Grasset, met en lumière la part d'ombre de l'un des auteurs belges francophones les plus renommés, le père du commissaire Maigret.
Dans ce roman, Patrick Roegiers, 68 ans, installé à Paris depuis plus de trente ans, a choisi de retracer le parcours de Christian, frère inconnu et raté du célèbre auteur né à Liège, dans l'est de la Belgique.
Cadet de Georges, Christian, préféré de leur mère bigote, est séduit par Rex, parti d'extrême droite fondé en Belgique par Léon Degrelle. Il collabore avec l'occupant allemand et participe en 1944 à la tuerie de Courcelles, où 19 civils sont exécutés en représailles de l'assassinat par la Résistance du bourgmestre (maire) rexiste de Charleroi, Oswald Englebin.
Pour échapper à la condamnation, Christian s'engage dans la Légion étrangère. Il meurt en Indochine en 1947. Dans le roman, M. Roegiers prend la liberté de le faire partir dans la Légion "Wallonie", composée de volontaires wallons combattant les Soviétiques aux côtés des Allemands, et mourir sur le front de l'est.
"Ce qui m'a intéressé, c'est son parcours (...) De Georges Simenon, on sait à peu près tout. De Christian, on ne sait presque rien. Je ne lui donne pas d'existence, je restitue sa présence", a expliqué à l'AFP Patrick Roegiers.
"Je ne raconte pas sa vie, je décris sa trajectoire. La mise en lumière de l'un (Christian) révèle la part d'ombre de l'autre (Georges)", a-t-il ajouté.
Et c'est justement ce qui met en rage les "simenoniens". Dans l'un des grands quotidiens belges francophones, Le Soir, un autre écrivain belge francophone, Jean-Baptiste Baronian, auteur du "Dictionnaire amoureux de la Belgique" et président des Amis de Georges Simenon, s'emporte dans une tribune au vitriol contre son compatriote.
"Patrick Rogiers a le droit de dire dans un livre tout ce qu'il a envie de raconter sur les deux Simenon, y compris n'importe quoi (...) Mais ce n'importe quoi, il est (...) en train de le répandre sur un ton de procureur dans les médias", écrit-il.
Et, selon lui, il "accumule les contrevérités historiques et les bévues, traite Georges Simenon de 'salaud' (...), accuse tous les bourgmestres de Wallonie d'avoir été séduits à l'époque par les sirènes du rexisme".
John Simenon, second fils et ayant droit de Georges, né en 1947, année de la mort de son oncle, s'insurge également, dans le quotidien français Le Figaro, contre Patrick Roegiers et son livre, qu'il dénonce comme une "série d'affabulations".
Et d'asséner: "Mêlant des faits historiques connus, des mensonges calomnieux et interprétations malveillantes ou ridicules, pratiquant sans réserve les amalgames les plus ridicules (...), M. Roegiers (...) règle on ne sait trop pourquoi ses comptes avec Simenon".
Alors que Christian collabore en Belgique, Georges s'installe en Vendée, en zone occupée en France, voit du monde, apprend l'allemand, n'ignore rien des activités de son frère et travaille avec la Continental, la société de production cinématographique française créée par les nazis.
"Les Caves du Majestic", une énigme policière résolue par Maigret, seront d'ailleurs le dernier film produit par cette société qui aura fait naître quelques grands classiques du cinéma français.
Selon M. Roegiers, la correspondance entre les deux frères aurait probablement disparu entre les mains de John.
"L'un est un pur collabo. Un traître et un salaud. L'autre mène la vie de château en Vendée. Sa conduite n'est pas excusable pour autant. Ce sont les deux faces d'une même médaille. Un seul et même visage", estime M. Roegiers.
"Christian ne s'explique pas sans Georges, et inversement. Peut-être cela reflète-t-il, en effet, l'attitude opportuniste d'une partie de la population vis-à-vis de l'occupant", ajoute-t-il.
Alors que les écrits de Degrelle sont toujours interdits en Belgique, le livre met en tout cas sous les projecteurs "un pan obscur" de l'histoire de ce pays qui, selon M. Roegiers, n'a pas encore été entièrement éclairci.