Last Man cogne toujours aussi fort
Balak, Vivès et Sanlaville publient le septième tome de leur manga à la française. Les trois auteurs se partagent les tâches pour sortir deux cents pages tous les trois mois. Le résultat allie action brute, émotion pure et humour vachard. Bluffant. Rencontre.
Publié le 01-10-2015 à 22h18 - Mis à jour le 05-10-2015 à 10h33
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Balak, Vivès et Sanlaville publient le septième tome de leur manga à la française. Les trois auteurs se partagent les tâches pour sortir deux cents pages tous les trois mois. Le résultat allie action brute, émotion pure et humour vachard. Bluffant. Rencontre.
La savoureuse fusion des talents et des influences
Last Man remonte sur le ring pour le septième round. Comment diable résumer les six précédents, trépidants, et foisonnants épisodes de ce manga made in France."Ce qui fait l’essence de ‘Last Man’, c’est un gamin, un adulte, et deux mondes qui se rencontrent", résume Bastien Vivès co-auteur de la série avec Balak et Michaël Sanlaville. Ou encore : "La trame : c’est Bambi." C’est un point de vue.
On ajoutera que le récit se balade entre la médiévale Vallée des rois, et ses tournois de combats mi-baston, mi-incantations et la "gothamesque" Nillipolis, que sépare une faille spatio-temporelle. Précisons encore que le gamin en question, plutôt doué pour la bagarre magique, s’appelle Adrian et qu’il est aujourd’hui un jeune homme; que sa mère, la belle Marianne, va nous manquer; et que le "fighter" Richard Aldana est sorti sans demander la permission du cachot où il croupissait depuis dix ans pour regagner son monde.
Partage des tâches
Balak, Sanlaville et Vivès se connaissent depuis l’époque de leur passage à l’école d’animation des Gobelins, à Paris. "Nous avions envie de faire une sorte de manga, populaire, assez fun, pour lequel on n’est pas obligé d’attendre un an entre chaque tome", rappelle Vivès.
D’abord prépubliée en ligne, sur Delitoon, la série débarque en librairie en 2012 et connaît depuis un succès croissant. "C’est important qu’on soit présent au niveau numérique, des lecteurs nous ont découverts comme ça", affirme Balak. "Au début, nos lecteurs étaient des trentenaires biberonnés au manga, puis ils ont passé les livres à leurs enfants", se réjouit Vivès.
Pour sortir un tome tous les trois mois, depuis mars 2013, le trio mise sur la répartition des tâches : "J’écris toujours une trame du tome vite", détaille Vivès. "Ensuite, il y a un gros travail de Balak sur chaque chapitre pour faire ressortir des personnages ou en créer auxquels je n’aurais pas pensé. Balak se charge du découpage, avant que Vivès et Michaël Sanlaville se partagent le dessin des planches. "Le premier qui dessine le personnage lui donne son design ", précise Vivès. "Balak, Michaël et moi, on a plus ou moins le même sens de la mise en scène. Michaël est très bon dans le dessin d’action, dans les décors compliqués. Les scènes de bla-bla, c’est pour moi."
Un peu de tout
"Last Man" lorgne donc clairement du côté du manga. "On voulait se frotter à l’univers très codé du shonen japonais, le tournoi à la Dragonball, le p’tit mec", explique Vivès. "On y intègre Aldana, qui débarque en disant : "Me gonflez pas avec votre magie" et allonge son adversaire d’une droite. C’est notre façon de dire que si l’univers est connu, tout ne va pas s’y dérouler comme d’habitude." Balak complète : "Nous sommes très respectueux du matériau de départ, ce n’est pas du pastiche." La série emprunte également à l’imaginaire urbain américain. Mais les auteurs ne renient pas pour autant leurs racines et n’hésitent pas à user des recettes de la bédé de papa. "Le franco-belge, c’est ultra-efficace, et jouissif quand c’est maîtrisé comme ‘Tintin’ ou ‘Astérix’", s’enthousiasme Vivès.
Concentrant scènes d’action pure, émotions dilatées et humour vachard à la sauce tricolore, "Last Man" poursuit sa route sans prétention, mais pas sans ambition. Tout à fait éclatant.

Des bonus en veux-tu, en voilà
Au départ, les auteurs voulaient que "Last Man" soit publié comme l’est l’ultrapopulaire manga japonais "Naruto" : sur petit format, vendu au prix de six euros. "L’éditeur nous a dit que ce n’était pas possible, alors on a décidé de faire un manga de luxe", explique avec malice Bastien Vivès.
Pour en donner aux lecteurs pour leur argent, les auteurs multiplient les bonus, comme ces autocollants qui permettent de "customiser" l’album. "Il y a deux écoles", s’amuse Balak : "Les gens qui ont bien tout collé et ceux qui ne veulent toucher à rien." De plus, au terme de chaque tome, les auteurs, faisant preuve d’une bonne dose d’autodérision, se racontent, en quelques pages - "le petit bout de chocolat au bout du cornetto", ironise Balak.
Multiplier les univers
Vivès se dit grand fan du "cross médias à la George Lucas, avec des univers qui se complètent plutôt que de se répéter". Ainsi, le tome 4 était-il accompagné d’un vrai-faux magazine people de charme, "Sexy Sirène" dévoilant la vie de l’affriolant personnage de Tomie Katana. Ce n’est pas tout : la série connaîtra des avatars sur support numérique et des objets de collection vont être réalisés.
Un jeu vidéo, "Last Fight", est en préparation. De même qu’une série télévisée : "On y pensait parce qu’on vient tous de l’univers des dessins animés, mais sans trop y croire", admet Vivès. "Mais on a été assez vite approché par des producteurs de France Télévisions." Au départ, la méfiance est de mise. "Quand on travaille avec les gens du dessin animé, il faut que rien ne dépasse, pas de violence, pas de ci, de ça… Quand on a commencé à écrire la bible littéraire pour la chaîne, on y est allé à fond, sans nous censurer, en partant du principe que ce serait à prendre où à laisser. A notre grande surprise, ils ont dit : c’est bon", s’étonne encore Balak. La diffusion est prévue pour la rentrée 2016 et sera réalisée par Jérémie Perin. "Le seul qu’on pensait capable de le faire", se réjouit Vivès.
-> "Last Man" t.7, Balak, Sanlaville, Vivès, Casterman 216 pp., environ 12,50 €
QUI SONT-ILS?
Balak
Né en 1979, Balak (Yves Bigerel) s’est fait connaître dans le monde de l’animation comme story-boarder et spécialiste de la bande dessinée numérique, dont le Turbo Media. Il a notamment conseillé les Studios Marvel (l’éditeur de Spider-Man, Hulk, des X-men, etc.) Egalement auteur de la bande dessinée "Love Burger", il dit de ses deux métiers : "Dans le dessin animé, tu travailles avec des gens talentueux, mais neuf fois sur dix, sur des projets nuls. En revanche, c’est une très bonne école. Quand tu fais de la bande dessinée, tu savoures le prix de la liberté."
Bastien Vivès
En une petite dizaine d’albums, Bastien Vivès s’est élevé au rang d’étoile de la bande dessinée française. Formé à l’école du cinéma d’animation, il a fait ses premières armes sur Internet, puis affiné son style dans quelques albums parus sur le label KSTR. Le talent du jeune trentenaire parisien éclate avec "Le Goût du chlore", "Dans mes yeux" et, surtout, le sublime "Polina". Il casse son image de post-ado romantique, en collaborant avec Merwann (le péplum "L’Empire") et Rupert et Mulot (la BD de casse au féminin "La Grande Odalisque"). Vivès, ce qui ne gâte rien, est très drôle. En témoignent les recueils tirés de son blog "La Famille", "L’Amour", "Le Jeu video"… ou porno très gonflé porno "Les Melons de la colère", aux Requins Marteaux.
Michaël Sanlaville
Illustrateur et story-boarder dans l’audiovisuel, Michaël Sanlaville (Lyon, 1982) est "entré" en bande dessinée avec Bastien Vivès (déjà), avec lequel il a publié "Hollywood Jan" dans la collection KSTR de Casterman. L’année suivante, toujours sur le même label, il signe Rocher rouge avec Eric Borg. En 2012, fidèle au même éditeur, il publie "Le Fléau vert". Soit l’histoire d’une petite communauté de survivants qui tente d’échapper à une plante dévoreuse et proliférante. Saignant, mais drôle.