Le poche de la semaine: "Une Antigone à Kandahar", Joydeep Roy-Bhattacharya
Une scène et sept protagonistes, qui chacun ont leur point de vue sur la guerre menée par les Américains en Afghanistan. Où Joydeep Roy-Bhattacharya nourrit une riche réflexion.
Publié le 01-10-2015 à 17h34 - Mis à jour le 01-12-2017 à 08h27
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Chaque vendredi, La Libre sélectionne un livre paru en format "Poche" et vous en propose la critique.
Ce n’est d’abord qu’une silhouette intrigante, peut-être dangereuse. La burqa bleu pastel dissimulerait-elle un homme ? Les soldats américains basés à Tarsândan, dans la province afghane de Kandahar, ne veulent prendre aucun risque, surtout après la terrible bataille qu’ils viennent d’affronter. Mais c’est une femme qu’ils rencontrent, Nizam, venue des montagnes récupérer le corps sans vie de son frère mort en combattant. Elle se doit de lui offrir la sépulture que mérite celui qu’il a été : un chef pachtoun intègre, un prince parmi les hommes, parti en héros après avoir vengé sa famille. C’est autour de cette figure de dignité et de courage que s’articule le deuxième roman de Joydeep Roy-Bhattacharya à être traduit en français, "Une Antigone à Kandahar" ("The Watch", 2012), piètre transposition du titre en ce qu’il suggère une grille de lecture qui s’impose d’elle-même au fil des pages.
Avec beaucoup d’intelligence, de finesse et un sens aigu de la narration, l’auteur - né à Jamshedpur (Inde), installé dans l’État de New York - met en scène les différentes protagonistes de cette scène : Nizam, un médecin, un interprète, un sous-lieutenant, un adjudant, un lieutenant et un capitaine. Entre souvenirs, introspection, décisions prises, chaque point de vue permet à Joydeep Roy-Bhattacharya d’explorer les aspects moraux et humains des actes posés, des questions soulevées. Où l’on découvre des hommes qui, bien qu’ayant été formés à être forts, sont désemparés face à ce qu’ils vivent (la mort des leurs, jeune marié, futur père ou soldat expérimenté) ou subissent (un divorce imposé). Des soldats qui ne se sont pas nécessairement engagés pour être solidaires, parfois simplement pour toucher un salaire régulier et échapper au supermarché du coin. Des gamins perdus dans une guerre qui les dépasse. Des êtres qui osent défier les stratégies et les procédures aveugles - où s’arrête la guerre et où commence l’humanitaire ? qu’est-ce qu’une bonne cause ? En démultipliant les axes de réflexion sur fond de tragédies grecques, Joydeep Roy-Bhattacharya offre à son lecteur de s’interroger à son tour sur l’honneur, l’intégrité, la liberté, la justice, l’idéalisme. Bien au-delà du point final de ce texte qui explore magistralement les enjeux de la guerre.
Une Antigone à Kandahar, Joydeep Roy-Bhattacharya, traduit de l’anglais (États-Unis) par Antoine Bargel, Folio n° 6393, 416 pp.