Où naissent les histoires ?
Anne-Marie Garat remonte, en conteuse prolixe, aux sources dont se nourrissent les récits et les destins. De la Franche-Comté au pays des chercheurs d’or, dans l’ouest canadien.
Publié le 01-10-2015 à 17h59 - Mis à jour le 05-10-2015 à 10h44
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Anne-Marie Garat remonte, en conteuse prolixe, aux sources dont se nourrissent les récits et les destins. De la Franche-Comté au pays des chercheurs d’or, dans l’ouest canadien.Où commence ce récit-là ? Où finit-il ? Et comment ? De quelles vérités et secrets est-il le dépositaire ? Et qui en est le véritable narrateur ? On ne sait trop. Anne-Marie Garat a le goût des histoires amples, tissées de péripéties inattendues, de personnages hauts en couleur, de rebondissements, de réflexions, de descriptions… On s’y laisse prendre, renonce, y revient dans le lancinant envoûtement d’une langue éblouissante. Pour le coup, on s’y perd. À force de digressions, de détails, de ruptures dans le récit, on peine à en suivre le cours pourtant induit par un titre explicite : "La Source". Celle qui génère un fleuve ou une rivière. Celle qui irrigue un récit. Celle qui fonde la vie de tout un chacun sans qu’en soit toujours perçu le commencement ou les ramifications.
C’est à cette source et ce qu’elle charrie de lumières et de mystères que s’intéresse une jeune femme qui, au prétexte d’enquêter avec ses étudiants sur les mutations rurales, s’en vient consulter les archives d’un bourg plus ou moins déserté, marqué par son propre passé familial. Elle y est hébergée par une nonagénaire au caractère imprévisible qui va, pour elle, réveiller les événements et les habitants des lieux. Comme des poupées gigognes qui s’emboîtent, le récit de l’une est relayé par celui de l’autre, la vérité s’y trouvant d’autant sujette à lacunes et oublis.
La vieille Lottie était à peine âgée de quatorze ans, et sans instruction ni éducation, lorsqu’elle a vu un passager étrange déposer un bébé au domaine des Ardennes dont la propriétaire était absente. Intriguée et fascinée à la fois, elle réussit à se rendre indispensable à celle-ci en se conciliant les bonnes grâces de l’enfant - une petite Anaïs - au service de laquelle elle est engagée et qui devient sa raison de vivre. Au long des années passées dans la propriété dont elle ne sort presque jamais, elle se fait un plein d’histoires sur la famille, les lieux et ceux qui y ont laissé leur empreinte à l’égal de fantômes d’un autre temps.
Les récits qu’elle en fait le soir à sa visiteuse, à la chaleur d’un feu de bois et de la lampe à pétrole, - le meilleur du livre - prolongent sa mémoire des inventions, intuitions ou rêves qui participent de la transmission orale et de ses failles.
Vaguement somnolente, l’hôte qui a entendu sans toujours écouter est devenue, à son tour, la narratrice des souvenirs dont elle a été dépositaire sans pressentir qu’à l’autre bout du monde, au pays des chercheurs d’or, elle y nouerait les fils de sa vie personnelle. Passé et destin compris.
Il est impossible de restituer les remous de ce roman-fleuve qui questionne les résonances des contes ainsi que l’origine et le sens de la vie et des mouvances et héritages dont on est fait. Anne-Marie Garat possède un sens aigu de la narration, jusque dans ses extravagances.
Si elle a aussi le goût des descriptions précises et documentées qui situent ses personnages, elles interviennent trop largement ici et compromettent la clarté de l’histoire. Sachant sa passion pour l’image qui parle et pour une langue dont elle use avec autant de rigueur que de volupté, on a souvent l’impression qu’elle écrit pour se faire plaisir. Le lecteur s’y essouffle, ne saisit plus clairement où le mène ce texte trop touffu, noir et parfois piquant dans ses remous. Perplexe, il interroge les neiges mouvantes d’une boule de verre qui en balise le temps remonté pour comprendre le présent des choses. Ou il s’évade, la tête bruissant de refrains discrètement ébauchés de Brel, Béart, Leclerc… Anne-Marie Garat aime inscrire à ses romans quelques références personnelles, littéraires ou musicales.
La Source Anne-Marie Garat Actes Sud 380 pp., env. 21,80 €