"Le Livre des Baltimore" : Le récit de Joël Dicker ne décolle pas vraiment
Affrontant le succès de son "Harry Quebert", Joël Dicker en publie une suite… Un peu moins stimulante.
Publié le 09-10-2015 à 14h07 - Mis à jour le 09-06-2020 à 22h48
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Affrontant le succès de son "Harry Quebert", Joël Dicker en publie une suite… Un peu moins stimulante.Avec l’enthousiasme qui le pousse à écrire des histoires depuis l’âge de sept ans et avec cette dose d’inconscience sans laquelle on ne prend aucun risque, Joël Dicker s’est lancé dans le roman suivant le fulgurant succès qui aurait pu être paralysant de "La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert".
On l’attendait au tournant. Il le savait. Le Grand prix du roman de l’Académie française, le Goncourt des Lycéens, sa sélection au Goncourt tout court, les trois millions d’exemplaires vendus et une célébrité inattendue n’altéraient en rien une simplicité qui lui gardait la tête - joliment faite - sur les épaules - résistantes bien que peu préparées à pareil déferlement. Les critiques particulièrement acerbes dégainées en boomerang à sa soudaine popularité l’affectèrent sans le déstabiliser. Il aime écrire. Il a continué. "Le Livre des Baltimore" a été écrit dans les temps laissés libres par les effervescences d’une gloire dont lui sont apparus les bonheurs et les pièges.
Force est de reconnaître qu’on ne retrouve, dans ce dernier livre, ni le souffle ni le rythme ni la construction époustouflante qui embrasaient le précédent. Joël Dicker a le talent d’inventer des histoires, de les bousculer, de les retourner, de les allumer de suspense. Cette fois, pourtant, le récit ne décolle pas vraiment. On reste au niveau d’un roman plaisant confrontant les deux branches d’une même famille, les Goldman-de-Baltimore et ceux de-Montclair, ainsi que les différenciaient les grand-parents suivant leur lieu de résidence. Réunis durant les vacances à Baltimore, dans cet Est des États-Unis que l’auteur connaît bien, les trois enfants et cousins formant la jeune génération sont complices en jeux et fredaines, partageant désirs, amours, suspicions, jalousies. Ils sont la jeunesse heureuse d’une Amérique en paix et en pleine croissance. Mais pour combien de temps ?
Le narrateur n’est autre que celui de "L’Affaire Harry Quebert" - Joël Dicker a le projet d’une trilogie -, ce Marcus Goldman en quête d’inspiration après le succès d’un premier livre. Renouant avec les souvenirs de son adolescence, celui-ci réintègre la vision tout en superlatifs qu’il y avait de la famille de son oncle dont l’éblouissaient le luxe, la beauté, la tolérance. Par opposition, ses parents lui paraissaient empruntés, méprisés, loin de ce charme fascinant des autres et de leur réussite affichée. La fratrie à la vie à la mort qu’il formait avec ses cousins participait des rêves en noir ou blanc liés à cet âge où l’on se retient de devenir adulte.
Mais la vie est versatile et, avec le temps… tout passe. L’irruption dans leur trio d’une jeune beauté dont chacun tombe amoureux va y semer le trouble. De menus drames jalonnent les années où passé et présent se jouent de la chronologie. Les certitudes se fissurent en attente du Drame annoncé qui verra se fracasser le regard que portait Marcus sur ceux qu’il aimait.
Retrouver sa jeunesse avec les yeux intransigeants que l’on avait à l’époque installe dans le roman un manichéisme des perceptions et des sentiments. Même si le narrateur s’en justifie à la fin d’un "Et si tout cela n’était qu’une création de mon esprit", l’impétuosité des engouements et des désappointements laisse perplexe.
On s’y essouffle d’autant que l’écriture, à force de viser la simplicité, plane dans la facilité et ne verse pas toujours dans la nuance. Joël Dicker dit écrire pour les gens avant d’écrire pour les mots. C’est un point de vue auquel on souhaiterait que le temps apporte quelques corrections. Mais ces réserves de style ne devraient pas empêcher ses admirateurs de partager avec lui cette nouvelle histoire et d’y voir - elle est cela aussi - une réflexion sur le temps qui affecte les sentiments, fustige les apparences et ébranle les exaltations de l’adolescence.
Le Livre des Baltimore Joël Dicker Éd. de Fallois 477 pp., env. 22 €.