Les enfants de la douleur
Jean Hatzfeld poursuit son travail magnifique sur le génocide rwandais. Il a interrogé cette fois les enfants des rescapés et des génocidaires dans un livre étonnamment beau et plein d’espérance.
Publié le 09-10-2015 à 14h07 - Mis à jour le 12-10-2015 à 12h02
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Jean Hatzfeld poursuit son travail magnifique sur le génocide rwandais. Il a interrogé cette fois les enfants des rescapés et des génocidaires dans un livre étonnamment beau et plein d’espérance.Jean Hatzfeld continue sa grande œuvre d’anthropologue et d’écrivain sur le génocide rwandais. "Un papa de sang" est déjà son cinquième récit sur ce sujet. Après avoir rencontré les rescapés et les tueurs, il s’est intéressé cette fois aux enfants qui sont nés après le génocide.
Ceux-ci sont aussi de Nyamata, comme dans ses livres précédents. Ils se prénomment Ange, Jean-Damascène, Immaculée, Fabiola ou Idelphonse. Ils ont entre 16 et 20 ans. Certains sont des enfants de rescapés tutsis, d’autres de Hutus dont le père est parfois, encore, vingt ans après les faits, enfermé dans la prison de Rilima. Certains sont nés du viol d’une femme tutsie par un milicien Interhamwe ("Un papa de sang"). D’autres ont vécu leur petite enfance dans des camps au Congo.
Jean Hatzfeld les a interrogés sur leur vie, leurs espoirs, leurs ressentiments. Et il restitue ces témoignages avec la beauté de la langue des collines. Ces jeunes parlent des "avoisinants" (les voisins), disent "ça ne prive pas" ou "c’est grand chose", ou évoquent les "mal portants de la malaria".
On leur a expliqué à l’école l’histoire du génocide mais souvent ils ne connaissent pas les détails du drame vécu par leurs parents. Ils s’interrogent pour savoir s’il est pire d’être enfant de rescapé, sans père, ou d’avoir encore un père, mais que celui-ci fût un génocidaire qui a "coupé" et a du "sang sur la machette".
Si rien ne peut effacer ce passé qui rôde toujours ou se tapit encore dans les cadavres au fond des marais, la vie continue. Ces jeunes cherchent aussi à danser, à s’amuser, ont des projets d’avenir, aiment aller sur Facebook et échanger des potins sur les stars. Ils n’osent pas trop interroger le père s’il est coupable, ni le copain de classe s’il est d’une autre ethnie, ni les voisins ("cela ne se fait pas"). Ils se demandent s’ils pourraient un jour épouser quelqu’un de l’autre camp.
Ils trouvent une consolation en Dieu et les nouvelles églises pentecôtistes même s’ils ne comprennent pas pourquoi Dieu a frappé à ce point leur peuple.
Jean Hatzfeld nous offre un récit porté par l’émotion et l’espérance dans la vie qui, même au milieu des collines ensanglantées, s’obstine à refleurir.
Un papa de sang Jean Hatzfeld Gallimard 262 pp., env. 19 €