Ces livres qui nous parlent
Les audiolivres font un tabac aux Etats-Unis. C’est un nouveau débouché pour les éditeurs. La tendance se dessine aussi en Belgique et en France, même s’il y a du retard. Les audiolivres sont aussi une nouvelle opportunité pour les comédiens. Dossier et interview.
Publié le 12-10-2015 à 09h29
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Les audiolivres font un tabac aux Etats-Unis. C’est un nouveau débouché pour les éditeurs. La tendance se dessine aussi en Belgique et en France, même s’il y a du retard. Les audiolivres sont aussi une nouvelle opportunité pour les comédiens.
Avant toute autre chose, commençons par mettre fin à une idée reçue : non, le livre audio (ou enregistré) ne s’adresse pas qu’aux personnes malvoyantes. Cela fait très longtemps que la littérature jeunesse s’exprime par ce biais et l’exercice de la lecture de textes à haute voix (théâtre, poésie, etc.) a aussi fait des années durant le bonheur des programmes radiodiffusés. Il s’agit peut-être de niches mais elles dépassent de très loin le périmètre dans lequel on a l’habitude de cantonner la lecture à voix haute enregistrée.
Et aujourd’hui, le genre connaît un nouveau développement. C’est même devenu un nouveau créneau pour les éditeurs. C’est particulièrement le cas aux Etats-Unis où les chiffres sont en plein boom depuis 2005-2006 grâce à l’avènement de nouvelles technologies. Figurez-vous que les éditeurs peuvent remercier les smartphones et autres tablettes numériques. Entre 2013 et 2014, les ventes de livres audio ont progressé de 27 % de l’autre côté de l’Atlantique. En 10 ans, le nombre de titres a explosé, passant de 3430 unités en 2004 à plus de 25 000 voici deux ans.
La version abrégée est un sous-produit
Le phénomène se constate aussi en Europe, principalement au Royaume-Uni, en Allemagne et dans les pays nordiques. En France et en Belgique, en revanche, nous sommes à la traîne. "Le secteur a beaucoup progressé, confie Valérie Levy-Soussan, directrice d’Audiolib, une maison d’édition dédiée au genre, mais ça reste un marché de niche". Qu’est-ce qui explique ce retard ? "C’est une question d’habitude, explique-t-elle. Jusqu’au début des années 2000, les supports d’enregistrement (vinyles, cassettes et CD) ne permettaient pas de stocker l’intégralité d’un ouvrage. Les durées d’enregistrement ne dépassaient pas les 20 à 120 minutes. Or, la lecture d’un livre de 150 à 300 pages nécessite de 8 à 10 heures d’enregistrement. Les livres audio de l’époque étaient donc des versions abrégées. "Aux Etats-Unis, cela ne les dérangeait pas trop, précise l’éditrice, car ils ont l’habitude des digests, des versions condensées. Mais en France, un ouvrage de fiction en version abrégée est considéré comme un sous-produit".
La révolution numérique
Aujourd’hui, les choses ont changé. Grâce au format mp3, les livres audio proposent plus de 12 heures d’enregistrement sur 2 cd ou à mettre dans son téléphone portable, son baladeur ou sa tablette numérique. C’est facile d’utilisation et économiquement réaliste pour les éditeurs qui ne s’y trompent pas. Plus simple encore, la lecture diffusée en streaming, comme la musique, tend aussi à se développer. Du coup, l’offre a tendance à s’aligner sur les sorties dites "papier". "Le nouveau livre d’Amélie Nothomb récemment paru est sorti en même temps en librairie et en livre audio" souligne la directrice d’Audiolib.
Et l’exercice semble intéresser les auteurs eux-mêmes, ajoute Valérie Levy-Soussan : "Certains sont partants pour lire le texte eux-mêmes, comme Eric-Emmanuel Schmitt. Il aime bien lire ses textes, il va donc enregistrer son prochain livre lui-même. On a également travaillé avec Jean-Philippe Toussaint, Jean Echenoz, Annie Ernaux, et même avec Pierre Lemaitre qui avait eu le Goncourt et qui avait lui-même lu son livre…"
Est-ce encore de la lecture ?
Peut-on considérer qu’écouter un livre c’est encore de la lecture ? Le débat existe. Mais la réponse n’est-elle pas à trouver du côté de ceux qui écrivent ce que nous lisons. Et en la matière, celle qu’a donnée Stephen King, grand adepte de la lecture à voix haute (lire ci-contre), au "New York Times" a de quoi faire réfléchir : "Les livres audio valent-ils les livres imprimés ? D’après moi, non seulement ils les valent, mais ils pourraient bien leur être supérieurs". Un point de vue que Valérie Levy-Soussan ne contredira pas : "On a toujours besoin de lecture, dit-elle, mais je pense qu’écouter un livre, c’est aussi lire. Questionnez quelqu’un sur un ouvrage qu’il a écouté et il pourra vous le restituer comme s’il l’avait lu. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise lecture. A certains moments, on préfère lire avec les yeux, à d’autres on peut écouter des livres". L’éditrice voit même dans l’essor du livre audio un renouveau pour le livre tout entier : "Le livre audio, ça peut aussi être une autre façon de donner le goût d’ouvrir l’univers des livres. Pour les personnes ne lisant pas beaucoup, l’audiolivre, plus vivant, peut avoir un pouvoir d’attraction plus important. Et pour les lecteurs assidus, ils peuvent y découvrir autre chose grâce à la dimension sonore. Un côté plus intime aussi".
Profession : lectrice

Formée à la scène et au cinéma à l’IAD, à Louvain-la-Neuve, Maia Baran partage son métier entre le théâtre, le doublage de films et désormais l’enregistrement de lectures de livres. Le travail de la voix, elle l’a appris après ses études dans les studios. C’est une activité qui la passionne énormément.
En quoi lire un livre est-il différent de ce qu’on attend d’une comédienne ?
C’est un nouveau métier. C’est plus fatiguant que le doublage parce que le comédien est seul face à son livre. On doit gérer différemment le récit et la respiration. On a un rapport d’intimité à créer avec l’auditeur. Les défis consistent à porter un auteur et son univers tout en laissant à l’auditeur l’imaginaire du lecteur car il n’y a pas d’apport visuel ou de décors sonore accompagnant la lecture. Le livre audio se tisse simplement avec une voix.
Il faut faire attention à ne pas trop interpréter le texte, c’est ça ?
Chaque auteur a sa spécificité. J’ai lu "1Q84", la trilogie de Murakami. C’est un auteur derrière lequel la voix doit se poser en retrait tellement l’univers est fort. En revanche, la tétralogie Twilight, de Stephenie Meyer, n’avait pas un style littéraire à respecter. Il s’agissait plutôt d’essayer d’embarquer les lecteurs. C’est encore différent avec le dernier Victoria Hislop ("La ville orpheline") dans lequel il fallait ressentir le contexte. On est à Chypre à la fin des années 60 avec une guerre civile et on suit les destins bouleversés de plusieurs familles. Il y a parfois des phrases ou des mots en grec ou en turc qu’il fallait également porter !
Comment abordez-vous le travail à accomplir ?
Il y a un inévitable travail de préparation parce qu’on ne veut pas tomber dans la caricature des répliques, faire du cartoon. Il faut trouver un ton juste pour chaque personnage puisqu’on va interpréter tous les rôles : féminins, masculins, jeunes, âgées ou avec accent, etc. Et en même temps, il faut garder cette fraîcheur de la découverte phrase après phrase comme l’auditeur. Il faut essayer d’accompagner l’auditeur sans lui donner un travail prémâché pour lui annoncer la suite. Si l’auteur a laissé des zones de flou, il ne faut pas que le lecteur, qui sait ce qu’il va devoir induire par la suite, donne la réponse trop tôt. On ne travaille pas le texte du livre audio comme celui d’une pièce de théâtre ou du cinéma. On reste dans une lecture instinctive.
Combien de temps faut-il en moyenne pour enregistrer un livre ?
Le Victoria Hislop fait 12 à 13 heures d’écoute. On l’a enregistré sur un peu plus de 60 heures. Mais je suis aujourd’hui rodée à l’exercice, mes premiers livres audio ont dû prendre plus de temps.
Vous ne faites que du roman ou vous vous attaquez aussi à des essais, etc ?
Jusqu’à présent, je n’ai fait que des romans mais j’aimerais beaucoup enregistrer des essais et autres. Ça ne se lit certainement pas de la même façon et c’est certainement aussi une autre concentration à avoir.
Quel est l’auteur ou le livre que vous rêvez de mettre en voix ?
J’aime tous les auteurs russes car je suis d’origine russo-polonaise. Pouvoir lire du Tolstoï ou Dostoïevski, même traduit, et me rapprocher de ma culture d’origine, ce serait le pied total.
Le saviez-vous? Stephen King en est fan
Le maître du thriller fantastique est aussi un inconditionnel du livre audio. Il l’a prouvé cet été en publiant une version enregistrée d’une des nouvelles de son prochain recueil à paraître. Et son goût pour les ouvrages lus ne date pas d’aujourd’hui. Il remonte au début des années 80. En 1981, une grève cloue au sol les avions alors que l’auteur doit se rendre de chez lui, dans le Main, à Pittsburgh. Le voilà parti en voiture pour plusieurs centaines de kilomètres avec pour seuls compagnons des romans enregistrés. Il sera à ce point marqué par l’intérêt de l’exercice qu’il ira jusqu’à payer ses enfants pour lui lire les livres qu’il avait envie d’entendre. Dans les colonnes du "New York Times", l’auteur affirme même que sa passion pour les textes lus l’a conduit à améliorer sa propre écriture.
La réalité chiffrée
Selon les derniers chiffres publiés par l’Audio Publishers Association, la fédération américaine dédiée au segment audio de l’édition, plus de 1000 livres enregistrés sont venus enrichir le catalogue disponible outre-Atlantique l’an dernier. Les ventes de livres audio numériques sont en hausse de 10 % par rapport à 2013. Ce sont les livres pour adultes qui ont la cote. Ils représentent pas moins de 87 % des titres. Et dans cette catégorie, c’est la fiction qui a le vent en poupe puisque 77 % des audiolivres proposent ce type de contenu contre 22,6 % à classer dans la catégorie non-fiction.
En Belgique, il n’y a malheureusement pas de chiffres précis disponibles. Les ventes et le chiffre d’affaires des audiolivres ne sont pas séparés de ceux des livres imprimés ou au format numérique.