Sur les pas de Blanche, la petite fille révoltée morte à 12 ans
Dès les premières lignes, on en est convaincu : Carole Martinez est une conteuse, une amoureuse des mots et d’un réalisme magique avec lequel elle raconte une histoire pour nous envoûter.
Publié le 12-10-2015 à 14h33 - Mis à jour le 12-10-2015 à 14h43
Carole Martinez nous emmène en 1361 sur les pas de Blanche, la petite fille révoltée morte à 12 ans.Dès les premières lignes, on en est convaincu : Carole Martinez est une conteuse, une amoureuse des mots et d’un réalisme magique avec lequel elle raconte une histoire pour nous envoûter. Elle avait déjà séduit le grand public avec "Le Cœur cousu" et "Du domaine des Murmures", histoire médiévale et mystique où il était question de religion, de Croisades, de sang et d’amour.
Elle poursuit ici dans la même veine singulière avec "La Terre qui penche".
Nous sommes cette fois en 1361, Blanche est morte. Elle n’avait que douze ans. Le roman raconte sa courte vie, alternant les chapitres où la petite fille parle et ceux où son âme devenue vieille de six cents ans se retourne sur ce passé.
Dans ce récit à deux voix, on est à nouveau au Domaine des Murmures, en Franche-Comté, près de la "Loue enchanteresse", cette rivière fantasque et mystérieuse qui peut brusquement grossir et emporter les imprudents. La Loue parfois se transforme en une femme, Bérengère, dont le corps est "à la fois la montagne et le gouffre. Ses courbes sont tranquilles et son regard inquiet". Le pays "tout entier penche vers cette rivière".
Depuis la mort de sa femme emportée par la peste, le père de Blanche se complaît dans le plaisir brutal. Oublié son passé tendre, "Père ne croit plus en rien, sauf aux armes, à la ripaille et au diable, agile et filou qui règne sur ce désordre", dit Blanche qui cherche la vérité sur sa mère.
Sauvageonne, indépendante, Blanche traque le secret de ses origines et va à la rencontre de ceux qui ont pu connaître sa mère. Elle croise dans les sombres forêts Bouc et son énorme cheval. Bouc est un ogre qui chasse et dévore les petites filles. Mais elle en viendra à bout avant de repartir sur le dos du beau cheval. On y croise encore un juge qui condamne solennellement ce grand cheval au bûcher.
Elle découvre que son père fut tout autre chose que cette brute épaisse qu’elle a connue. Il y eut même jadis trois femmes pour l’aimer à la folie et un tournoi fut nécessaire pour les départager. La petite Blanche apprend ainsi la vie et la puissance du cœur.
Blanche est emmenée par son père car elle est promise à Aymon, un prince niais et débile mais charmant qui passe sa vie dans les arbres à jouer du pipeau. II peut même devenir garçon-poisson.
Blanche préfère à l’amour arrangé, la liberté, la rébellion, l’instruction, la possibilité de pouvoir lire et écrire.
On retrouve dans ce roman cette langue si particulière de Carole Martinez où se mélangent le songe, la violence, la poésie, la sensualité et la magie d’un Moyen Âge inventé. Avec des poèmes de son invention. À moins que l’univers de Carole Martinez ne soit simplement ce territoire de l’enfance qui reste encore caché dans un coin de nos âmes avec ses peurs et ses émois.
Carole Martinez se défend de ne faire qu’œuvre historique. Pour elle, disait-elle déjà pour son roman précédent, nous avons toujours besoin de mystères : "Vous avez étouffé la magie, le spirituel et la contemplation dans le vacarme de vos villes, et rares sont ceux qui, prenant le temps de tendre l’oreille, peuvent encore entendre le murmure des temps anciens ou le bruit du vent dans les branches. Mais vous tremblez toujours sans même savoir pourquoi."
La Terre qui penche Carole Martinez Gallimard 366 pp., env. 20 €