Les plus beaux poèmes de Verlaine ont été écrits à Mons
A Mons, le Bam évoque Verlaine (1844-1896) enfermé dans la prison de la ville. L'exposition qui s'ouvre samedi retrace les liens entre le poète et la Belgique. Avec de très nombreux documents et objets inédits. Passionnant! Évocation de Guy Duplat.
Publié le 14-10-2015 à 20h43 - Mis à jour le 15-10-2015 à 13h50
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A Mons, le Bam évoque Verlaine (1844-1896) enfermé dans la prison de la ville. L'exposition qui s'ouvre samedi retrace les liens entre le poète et la Belgique. Avec de très nombreux documents et objets inédits. Passionnant!
Jamais il ne renia son amour pour Rimbaud
Amoureux de la poésie, réjouissez-vous ! Il y a onze ans, une magnifique exposition à Bozar célébrait Rimbaud, "le passant considérable", "l’homme aux semelles de vent" pour le 150e anniversaire de sa naissance. L’exposition était centrée sur le "Dossier de Bruxelles" : des documents uniques sur la présence de Rimbaud et Verlaine à Bruxelles et la rixe qui les opposa. Ces lettres, rapports de police et témoignages de première main, étaient alors présentés pour la première fois au grand public. Dans la foulée, le commissaire de l’expo, Bernard Bousmanne, qui dirige le département des manuscrits à la Bibliothèque royale, découvrait le vrai revolver avec lequel Verlaine tira sur Rimbaud.
Verlaine et la Belgique
L’exposition "Verlaine, cellule 252" qui s’ouvre ce week-end à Mons en apothéose de Mons 2015 est en quelque sorte la suite de cette exposition-là. Et elle est menée par le même Bernard Bousmanne qui, à nouveau, a fait une découverte : une photo totalement inédite du poète retrouvée comme par miracle. Il était allé rendre visite dans une ferme française à l’arrière-arrière-petit-fils d’Elisa Moncomble, la cousine de Verlaine dont il fut si amoureux. Et l’homme chercha dans une armoire un coffret, le déposa sur la table de sa cuisine et en sortit deux plaques de verre avec ce portrait d’un Verlaine jeune, de 20 ans, beau, désirant plaire à sa cousine (notre photo). Bien loin de l’image pitoyable qu’il laissera de lui plus tard, affalé dans les bars parisiens, accroché à l’absinthe, le tueur vert.
L’exposition de Mons parle des liens entre Verlaine et la Belgique. Bien sûr, elle revient longuement sur l’affaire de Bruxelles et le procès (lire ci-contre).
Verlaine connaissait la Belgique depuis son enfance. Il allait alors à Paliseul chez sa tante Louise Grandjean qui lui donnait déjà, à 12 ans, de la "bistouille", un mélange de café et d’alcool qui servait à vous réchauffer. On peut penser que l’alcoolisme de Verlaine a commencé là.
Fourgon cellulaire
L’expo présente 220 documents et œuvres exceptionnelles (lettres, éditions originales, manuscrits autographes, tableaux dont ceux célèbres de Fantin-Latour et sur Rimbaud, dessins multiples, etc.) et de nombreux objets d’époque.
Devant le Bam, on a placé un vrai fourgon cellulaire comme celui qui conduisit le poète à Mons. C’était une nouveauté, car auparavant on amenait les prisonniers à pied, enchaînés. C’est à la prison de Mons qu’il composa ses plus célèbres et ses plus beaux poèmes. Dont le célébrissime texte suscité par la vue depuis la fenêtre de sa cellule : "Le ciel est, par-dessus le toit, si bleu, si calme ! Un arbre, par-dessus le toit, berce sa palme. […] Qu’as-tu fait, ô toi que voilà pleurant sans cesse, dis, qu’as-tu fait, toi que voilà, de ta jeunesse ?"
Mais c’est aussi à Mons qu’il écrivit un de ses plus beaux textes où il fait clairement référence encore à Rimbaud qu’il n’a cessé d’aimer, "Crimen amoris" : "Le plus beau d’entre tous ces mauvais anges avait seize ans sous sa couronne de fleurs. Les bras croisés sur les colliers et les franges, il rêve, l’œil plein de flammes et de pleurs. En vain la fête autour se faisait plus folle, en vain les Satans, ses frères et ses sœurs, pour l’arracher au souci qui le désole, l’encourageaient d’appels de bras caresseurs : Il résistait à toutes câlineries, Et le chagrin mettait un papillon noir à son cher front tout brûlant".
Oscar Wilde
Pour l’expo, on a pu retrouver sept portes de bois anciennes de la prison datant de l’enfermement de Verlaine et des menottes. On montre comment alors les prisonniers étaient cloîtrés dans des cellules individuelles sans aucun contact avec les autres détenus, ne sortant qu’avec des cagoules sur la tête.
Le magnifique livre-catalogue de l’expo (Mardaga) fait une comparaison intéressante avec l’enfermement d’Oscar Wilde dans la geôle de Reading, vingt ans plus tard, aussi pour homosexualité. Les deux poètes se connaissaient mais si Oscar Wilde sortit écrasé par la prison et ne s’en remit jamais, Verlaine la supporta mieux. On a beaucoup parlé de sa conversion mystique ("La prison de Mons compte maintenant un saint parmi les bagnards", disait-on), mais Bernard Bousmanne la relativise.
A peine sorti de prison, il courut en effet rejoindre pour quelques jours Rimbaud à Stuttgart et il continua à mener une vie très relâchée. Avec l’alcool et avec ses deux maîtresses qu’il avait de concert : Eugénie Krantz et Philomène Boudin. Il publia encore de nombreux recueils, parfois ruisselant d’eau bénite, mais parfois franchement érotiques, presque pornographiques comme "Femmes" et "Hombres".
Trop ivre pour y briller
Verlaine bénéficia d’une remise de peine et sortit le 16 janvier 1875 avant le terme de sa condamnation. Il partit enseigner en Angleterre puis revint en France. Il continua à entretenir de bonnes relations avec la Belgique. Bruxelles était alors à la pointe de la modernité. Verhaeren, Octave Maus, Rops, Maeterlinck admiraient le grand poète. Ils l’invitèrent plusieurs fois à la fin de sa vie à donner des conférences. Mais l’histoire retient que ce ne furent pas toujours des succès car le poète était trop ivre pour y briller. Mais lorsqu’il fut invité à parler dans le palais de justice qui l’avait si honteusement condamné, il mit un point d’honneur à y être brillant et applaudi de tous.
L’affaire de Bruxelles
Le 9 juillet 1873 Rimbaud rejoint Verlaine à Bruxelles. Ce jour-là, Verlaine s’est enivré et a bu "outre mesure". Rimbaud voulait partir et rejoindre Paris. Verlaine menace, rien n’y fait. Non seulement Rimbaud va l’abandonner, mais surtout, s’il se rend à Paris, c’en est fini des espoirs de réconciliation de Verlaine avec son épouse Mathilde Mauté et son jeune fils Georges, alors âgé de quelques semaines quand il avait décidé d’aller vivre à Londres un "dérèglement de tous les sens".
Le 10 juillet, Verlaine se rend chez l’armurier Montigny, dans les galeries Saint-Hubert. Il achète un pistolet (qu’on peut voir à l’expo) puis passe le restant de la matinée à boire dans des bistrots enfumés aux tables de marbre couvertes de bocks. Vers midi, il retourne à l’hôtel, complètement ivre.
Un examen intime et vexatoire
De retour dans leur chambre d’hôtel, Verlaine n’en peut plus. Il ferme la porte à clef et tire sur Rimbaud en criant : "Voilà pour toi puisque tu pars." Une première balle blesse Arthur au poignet, une seconde va se loger dans le plancher.
Rimbaud est ensuite poursuivi par un Verlaine hagard. Arrivé à la place Rouppe, Verlaine s’agite, rejoint Rimbaud qui marche quelques pas devant lui et fait mine de prendre son arme. Rimbaud prend peur et se réfugie chez un agent de faction. Tout le monde est amené au poste. Verlaine est écroué à l’Amigo, lieu de détention provisoire, derrière l’hôtel de ville. Le lendemain, le juge Théodore t’Serstevens, saisi de l’affaire, décide de le transférer à la prison des Petits-Carmes "sous prévention de blessures faites au moyen d’une arme à feu sur la personne du sieur Rimbaud, Arthur".
Début août, Verlaine passe devant le tribunal correctionnel. Deux médecins ont procédé sur lui à un examen intime et vexatoire pour prouver ses pratiques homosexuelles. Un des deux était un aliéniste, car on assimilait alors l’homosexualité à une forme de maladie mentale.
Si on le condamne pour les coups de feu sur Rimbaud, on l’accuse aussi de "mœurs immorales", de son attitude à l’égard de Mathilde et de l’abandon de son fils. Et de manière à peine voilée de sa participation à la Commune. La sentence est terrible, Verlaine est condamné à deux ans de réclusion à la prison de Mons. Rimbaud va à Roches terminer son "livre païen" : "Une saison en enfer". Ils ne se reverront plus sauf brièvement à Stuttgart. Rimbaud partira pour l’Abyssinie et Verlaine terminera sa vie dans le Quartier latin, vieux faune taciturne, songeur et renfrogné.
---> "Verlaine, cellule 252", au Bam à Mons, jusqu’au 24 janvier