L’itinéraire inédit de Lazare Rachline
L.R., c’était aussi Lucien Rachet, grand résistant de la guerre 40-45. Les magnifiques leçons de la Résistance, entre le devoir et l’héroïsme.
Publié le 15-10-2015 à 13h32 - Mis à jour le 19-10-2015 à 09h22
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L.R., c’était aussi Lucien Rachet, grand résistant de la guerre 40-45. Les magnifiques leçons de la Résistance, entre le devoir et l’héroïsme.Avec l’écrivain et essayiste François Rachline (Paris, 9 juin 1948), économiste réputé de surcroît, nous effectuons une entrée clandestine dans les coulisses de la Seconde Guerre mondiale. En nous disant qu’au fond, et par définition, nous n’en savons jamais assez sur les clés et secrets de cette époque, dont on a toujours de nouvelles leçons à tirer.
Dans ces "Silences d’un résistant", qui se lisent comme un roman, l’auteur dresse un captivant portrait de son père, L. R., Lazare Rachline, alias Lucien Rachet, ou dit Socrate encore au fil d’une épopée qui le conduisit en France et en Espagne, de Londres à Alger, via Gibraltar. Et nous cheminons à travers ces pages en compagnie du général de Gaulle, de Jean Moulin ou Emmanuel d’Astier de la Vigerie, mais également Jacques Chaban-Delmas, Pierre Mendès France, Raymond Aubrac, Joseph Kessel, Pierre Dac, Pierre Lazareff, Henri Frenay, les généraux Koenig et Guillain de Bénouville, et quantité d’autres hautes et nobles figures, dans les réseaux de cette formidable aventure que fut la Résistance française pendant cette guerre.
Lazare Rachline (Lucien Rachet, donc), juif russe immigré, était né à Gorki en 1905 - en cette même année fertile que Jean-Paul Sartre, Raymond Aron ou Paul Nizan. Naturalisé français en 1938, il devint agent des services français en 1943 (Bureau central de renseignements et d’action d’André Dewavrin, alias colonel Passy), et chef de la principale filière d’évasion au sein du Special Operations Executive (SOE) des services secrets britanniques, non sans avoir fui le Stalag où il fut fait prisonnier. Il avait également cofondé en 1927 la Ligue internationale contre l’antisémitisme (LICA, devenue Licra en 1979), ce qui en faisait un héros dès ses débuts d’homme.
L’héroïsme, Lucien Rachet toutefois s’en défie. Il savait que son frère Vila avait été supplicié par Klaus Barbie, le "boucher de Lyon", et ainsi disait : "Tous ceux qui ont fait de la résistance ont fait simplement leur devoir vis-à-vis de leur conscience et de la France. On n’est pas un héros tant qu’on n’a pas été arrêté par la Gestapo, […], tant qu’on n’a pas gardé le silence sous les tortures". Dès 1930, L.R. déclarait : "Tant qu’il reste quelque chose à faire, c’est qu’on n’a pas tout fait". Il savait, selon son fils François, l’absurdité d’une hiérarchie possible dans le devoir. On le faisait ou on ne le faisait pas, c’est tout. Albert Camus lui-même dira plus tard : "Si nous avons survécu c’est que nous n’avons pas fait assez".
Ceci nous ramène immanquablement au procès de René Hardy. "Accusé d’une trahison qui entraîna l’arrestation des chefs de l’armée secrète, et du fédérateur des mouvements de Résistance, Jean Moulin, Hardy dirigeait le réseau Résistance-Fer au sein de Combat. Plusieurs de ses amis, à commencer par Pierre Guillain de Bénouville, crurent jusqu’au bout à son innocence. Lucien, lui, resta convaincu toute sa vie de sa culpabilité. Aujourd’hui, cette dernière position l’emporte enfin." René Hardy - pseudonyme Didot - informait bel et bien les Allemands.
À l’actif de Lazare Rachline ("Socrate"), on ne peut manquer d’évoquer le succès de la mission "Clé". En février 1944, à Alger, le général de Gaulle l’avait personnellement chargé de restructurer l’ensemble de la Résistance intérieure, afin qu’aucun soulèvement n’eût lieu sans un ordre exprès de l’homme de Londres, et en sorte aussi que les communistes et les Alliés ne prennent pas le pouvoir dans la France libérée. Cela se situait peu après l’accord d’Astier-Churchill du 27 janvier 1944, quand les Alliés se résolurent enfin à armer la Résistance.
Décédé le 25 janvier 1968 à Paris, avec l’amicale reconnaissance du Général, l’industriel résistant avait abdiqué toute fonction politique après la mort de son jeune frère Vila, torturé pendant quatre jours par la Gestapo et fusillé près de Lyon. Lui qui dansait sans cesse sur le fil de la mort ne s’était jamais remis de la disparition de son cadet, qui n’avait rien lâché sous le martyre de la question.
L.R. Les silences d’un résistant François Rachline Albin Michel 388 pp.,env. 22 €