Les deux Queffélec
Yann raconte Henri et l’attente de reconnaissance de ce père admiré.
Publié le 26-10-2015 à 11h55
Yann raconte Henri et l’attente de reconnaissance de ce père admiré.Il avait trois ans. Un soir, à la fin du repas, ses yeux croisèrent ceux de son père : "Je vis alors ces mots reptiliens envahir sa prunelle : mais qu’est-ce que tu viens faire ici, toi ?" Cet échange muet évoqué dans son dernier livre instilla au cœur de Yann Queffélec une hantise qui le brûla : se faire aimer du père qu’il admirait. S’en faire voir. Mais né à la faveur des "travaux aléatoires d’un certain Dr Kyusaku Ogino" d’un accouchement où sa mère risqua sa vie, il ressentit intimement que le romancier Henri Queffélec ne lui pardonnait pas d’être ce qu’il était. Cravaché dans ses insoumissions, il ne fut pas non plus admiré dans sa célébrité. Il s’en est souvent confié. Là, il cède enfin à l’explication souhaitée et jamais aboutie, avec celui qu’il appelle : "L’homme de ma vie". Le père et le fils étaient peu doués pour la réconciliation. Seules, la mer et la Bretagne scellèrent leurs complicités. Cette fois, la parole libérée témoigne de l’apaisement.
Succédant à un frère dominateur et à Anne, son âme sœur et musicienne, il fut d’abord "p’tit frère". Ainsi les surnoms s’approprient-ils les prénoms. Le sien était Jean, dit brise-fer. Il fut plus tard "p’tit vieux". Mais c’était bien plus tard, quand, lauréat à trente-six ans du prix Goncourt, il espérait enfin entendre ce qu’il avait espéré sans jamais l’obtenir : C’est bien. Je suis fier de toi. De cette fêlure, à laquelle le temps passant a gonflé sa mémoire des vents suaves de moments heureux, Yann Queffélec a écrit un livre résolu. Son style rugueux, son apparente désinvolture et son ironie cinglent à travers des souvenirs qui se refusent à la mièvrerie ou à la revanche. A la complaisance aussi. La main s’est tendue. Les mots sont prononcés. Et quand il conclut : "Je vais t’écrire papa, te dire enfin qui tu es, qui je suis", on se laisse envahir par une houle grosse des embruns de l’émotion. Le fils et le père se sont rejoints au-delà des tempêtes de la vie et des escales manquées.
L’homme de ma vie ann Queffélec éd. Guérin/Chamonix 275 pp., env. 19,50 €