La grande contre-offensive freudienne
Un dictionnaire et une compilation de textes littéraires et philosophiques.
Publié le 14-12-2015 à 15h11
Un dictionnaire et une compilation de textes littéraires et philosophiques.Après des années de matraquage intensif, Freud (1856-1939) se relève. Avec un dictionnaire à son nom, placé sous la direction de Sarah Contou-Terquem, et une compilation d’écrits philosophiques et littéraires, revisités par Élisabeth Roudinesco et Jean-Pierre Lefebvre. Preuve qu’on ne fait pas taire un géant qui, infligeant une vexation psychologique à l’humanité - "l’homme n’est pas maître en sa propre demeure" -, s’inscrit directement à la suite de Copernic et de son camouflet cosmologique, et de Darwin avec son affront biologique. Dans la foulée de Marx et Nietzsche aussi, autres philosophes du soupçon comme lui.
Si l’on a toujours dénié le statut de science à la psychanalyse, il demeure que "la naissance de l’œuvre de Freud […] a été rendue possible par la constance de la critique qu’elle s’imposait à elle-même en même temps qu’aux savoirs de son époque", à savoir la littérature, la philosophie, l’histoire, l’anthropologie ou la mythologie même. Le dictionnaire, composé d’une multitude d’articles rédigés comme des essais sous les signatures d’une pléthore d’auteurs spécialisés, témoigne de la mobilité et du mouvement des concepts freudiens. Il ne va pas sans évoquer le célèbre "Vocabulaire de la psychanalyse" publié en 1967 par Jean Laplanche et J.-B. Pontalis, sous la direction de Daniel Lagache.
Outre les mots et notions qui forment l’essence même du langage freudien, on égrènera toutes les hautes figures qui auront contribué à ses influences, filiations et affiliations, jusqu’aux nombreux dissidents qui jalonnèrent le parcours solitaire du maître de l’inconscient : Joseph Breuer, Wilhelm Fliess, Carl Gustav Jung, Alfred Adler, Karl Abraham, Otto Rank, etc. Face à ces nombreuses désertions, il se consolera avec la connivence de l’exceptionnelle Lou Andreas-Salomé, ou de la princesse Marie Bonaparte, liée à lui par une amitié indéfectible, et qu’il reçut en analyse.
À travers le dictionnaire autant qu’à travers les grands textes, inaugurés pour ainsi dire avec "L’interprétation du rêve" en 1900, mais également ses "Trois Essais sur la théorie de la sexualité" (1905) ou ses "Cinq psychanalyses" (1909), l’on reviendra comme de juste sur l’organisation libidinale de l’être humain (dont Jung nie précisément la prédominance), jusqu’à la bisexualité psychique, à l’étiologie sexuelle des névroses, aux pulsions, au refoulement, à la perversion. Non sans insister sur la deuxième topique, constituée des trois instances du moi, du surmoi et du ça.
C’est avec "Totem et Tabou", en 1913, que le Viennois aborde de plus près l’anthropologie, y livrant une interprétation surprenante des origines de la société humaine. "Les hommes, dit-il, ne peuvent vivre ensemble qu’en accomplissant un meurtre originaire : ils tuent le père, dévorent son cadavre et inventent un nouvel ordre social fondé sur l’interdit du meurtre et le renoncement à la toute-puissance patriarcale."
Élisabeth Roudinesco, historienne de la psychanalyse, évoque également le "possible contrôle de l’activité pulsionnelle" que Freud, convaincu par ailleurs que la religion n’offre aucune solution à la frustration, attribue à l’homme à condition de dominer ses pulsions meurtrières par la sublimation, voie royale vers la sagesse, le savoir, la culture et la créativité. Derechef, si la psychanalyse freudienne peut être controversée au plan thérapeutique, la doctrine ainsi remise à jour conserve sa pleine vigueur dans le champ anthropologique des sciences humaines.
Dictionnaire Freud Sous la direction de Sarah Contou-Terquem Robert Laffont, coll. "Bouquins" 1 083 pp., env. 32 €
Sigmund Freud. Écrits philosophiques et littéraires Édition révisée par Élisabeth Roudinesco et Jean-Pierre Lefebvre Seuil, coll. "Opus" 1 700 pp., env. 39 €