Amélie Nothomb, géniale et excentrique, officiellement académicienne
L’écrivaine était reçue ce samedi à l’Académie royale, où elle reprend le fauteuil de Simon Leys. Portrait.
Publié le 18-12-2015 à 21h07 - Mis à jour le 27-08-2020 à 16h07
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L’écrivaine était reçue ce samedi à l’Académie royale, où elle reprend le fauteuil de Simon Leys. Portrait. C’est un phénomène charmant, une écrivaine au succès planétaire et gentiment excentrique qui faisaitt son entrée ce samedi à l’Académie royale de langue et de littérature française à Bruxelles. La baronne Amélie Nothomb, 49 ans, a repris le siège de Simon Leys, vacant depuis sa mort en août 2014. Le hasard fait bien les choses : une passionnée du Japon succède à un grand sinologue.
Elle est une des rares hyperstars de la culture belge. La Stromae de la littérature. Chacun connaît son look : chapeaux énormes, mitaines qu’elle garde partout, maquillage vif, elle est charismatique, ayant le sens de la répartie et de la formule choc. Elle s’est un peu calmée. En 1996, elle accordait encore des interviews dans des cimetières et révélait chez Pivot se délecter de fruits pourris. Son côté gothique allant de pair avec une affabilité magnifique.
Entrée fracassante
Elle est née à Etterbeek le 9 juillet 1966 avec le prénom de Fabienne, dans une branche de la famille Nothomb qui donna à la Belgique tant de ministres. Son père est Patrick Nothomb, un diplomate exceptionnel qui vécut comme consul général, en 1964, à Kisangani, la prise d’otages monstre des rebelles Simbas et fut longtemps en poste au Japon. C’est là que la future écrivaine grandit et s’attacha de manière profonde à ce pays.
Son arrivée en littérature fut fracassante avec "L’hygiène de l’assassin" en 1992. Elle n’a que 25 ans et décrit le face-à-face entre une jeune journaliste et un monstre sacré de la littérature, Nobel incompris.
Depuis, elle publie un roman chaque année pour chaque rentrée littéraire. Il y en a eu déjà 24, avec des ventes moyennes de 300 000 exemplaires et des traductions dans près de 30 langues. A chaque rentrée, il y a deux éléments majeurs : les vendanges et le nouveau Nothomb !
Elle fut définitivement consacrée comme grande écrivaine avec "Stupeurs et tremblements", en 1999, roman autobiographique, Grand Prix du roman de l’Académie française vendu à 500 000 exemplaires et adapté au cinéma avec Sylvie Testud dans le rôle principal.
L’opinion de ses lecteurs
Ses romans sont tous, plus ou moins, autobiographiques. On y retrouve son goût pour le champagne, des épisodes de sa vie mêlés à son amour des intrigues farfelues et des prénoms impossibles (dans son dernier roman : Sérieuse, Oreste, Aucassin). Amélie Nothomb soigne sa légende : elle explique qu’elle se soumet à une discipline rigoureuse, se levant chaque jour sans exception à 4 heures du matin pour écrire. Elle rédige 3 à 4 manuscrits par an, bien plus qu’elle n’en publie.
Chacun a son Nothomb préféré. Nous avons ainsi beaucoup aimé "La nostalgie heureuse" en 2013, son journal de bord très intime, lors d’un voyage au Japon.
En juillet, le Roi la nommait baronne, réparant ainsi une injustice : chez les Nothomb, le titre de baron ne se transmet pas aux filles.
Les critiques littéraires ne la touchent pas, elle avoue préférer l’opinion de ses lecteurs qui aiment tant ses romans empreints d’expériences personnelles au style décalé accompagné d’humour.
Défendre la langue et la littérature françaises
Si la première idée de constituer en Belgique une académie consacrée à la langue française remonte à 1898, ce n’est qu’en 1920, à l’initiative et sur proposition de Jules Destrée alors ministre des Sciences et des Arts, qu’est née l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. Il s’agissait de "conférer à l’admirable efflorescence que nos Lettres ont connue depuis 1880, une reconnaissance octroyée dès 1886 aux Lettres flamandes par la création d’une Académie dont le siège est à Gand" et "d’inscrire dans un cadre international la défense et l’illustration de la langue française", peut-on lire dans le rapport fait au roi Albert Ier en faveur de la création de l’institution.
L’Académie royale se consacre donc à l’étude, à la pratique et à la promotion de la langue et de la littérature françaises comme l’indiquent ses statuts. Elle donne également des avis dans les domaines de son ressort. Soit d’initiative, soit à la demande de l’Exécutif de la Communauté française ou de tout autre pouvoir public.
Elle décerne également des prix et publie les travaux de ses membres et de chercheurs et écrivains qu’elle juge remarquables.
La francophonie avant l’heure
Même si elle est inspirée de l’Académie française, l’Académie royale de langue et de littérature françaises affiche dès sa création trois originalités marquantes. Elles concernent toutes trois sa composition. La première est de réunir en son sein des écrivains de fiction et des philologues au sens large : des spécialistes des textes anciens, des grammairiens, des linguistes, des historiens de la littérature. La deuxième est de ne pas être exclusivement composée de membres belges. Un quart des 40 fauteuils est occupé par des ressortissants de pays où le français est parlé, honoré et cultivé. Enfin, dès l’origine, et c’est tout sauf courant à l’époque, l’Académie est ouverte aux femmes.
L’élection des membres de l’Académie se fait par cooptation. Nul ne peut faire acte de candidature, est-il écrit dans les statuts de l’institution, l’objectif étant de garantir l’autonomie de l’institution. Particularité : le choix du nouvel élu se fait sur une liste de deux noms et seul celui qui occupera un fauteuil est dévoilé. L’autre reste secret.
Qui compose l’Académie royale ? Trop peu de femmes
L’Académie royale de langue et de littérature françaises se compose de 40 membres. Trente sont d’origine belge, dont 20 littéraires et 10 philologues, et 10 membres sont étrangers, dont 6 littéraires et 4 philologues. Depuis sa création, l’institution a compté 124 membres belges et 49 étrangers. Parmi ceux-ci, on ne compte que 19 femmes : 11 Belges et 8 étrangères. La première a été élue dès 1921. Il s’agit d’Anna de Noailles qui a occupé le fauteuil 33 jusqu’en avril 1933. Aujourd’hui, elles sont 10 à siéger. Parmi elles, on compte notamment les écrivains Françoise Mallet-Joris, Caroline Lamarche et Liliane Wouters, ainsi que la philologue suisse Marie-José Béguelin. C’est aussi en 1921 que furent élus les premiers membres étrangers de l’Académie. Il s’agissait de l’écrivain italien Gabriele d’Annunzio , du romancier suisse Benjamin Vallotton et du grammairien français Ferdinand Brunot .
Depuis, ils sont 46 à avoir occupé un fauteuil. Evidemment, ils viennent en grande majorité des pays francophones comme la France, la Suisse ou le Québec au Canada. Mais aussi des Etats-Unis, de Roumanie, de Grande-Bretagne, de Chine, du Danemark, de Finlande, d’Israël ou encore du Pérou. Actuellement, on compte 9 représentants étrangers parmi les membres de l’institution, dont le professeur américain Robert Darnton qui enseigne l’histoire culturelle française du XVIII e siècle aux universités de Princeton et d’Oxford et les écrivains français Gérard de Cortanze et Michel del Castillo. Notons une curiosité : Eric Emmanuel-Schmitt, né français mais naturalisé belge en 2008, siège toujours dans le quota des membres étrangers d’après le site Internet de l’Académie. Enfin, deux fauteuils sont vacants en ce moment, le 4 de Roland Mortier et le 40 d’Assia Djebar.