La prison à livre ouvert, par Tignous
Assassiné le 7 janvier dans les locaux de "Charlie Hebdo", le dessinateur avait sur sa planche le travail de semaines de reportage et de nombreux mois de travail. L’immersion dans le milieu pénitentiaire était "une évidence", selon sa compagne, Chloé Verlhac, qui a fait en sorte que ce travail ne soit pas perdu.
Publié le 21-12-2015 à 17h13 - Mis à jour le 21-12-2015 à 17h14
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Avant d’être assassiné, Tignous a plongé au cœur du système carcéral.Si Fleury-Merogis évoque films et romans de gangsters à la française, Lannemezan, Douai ou Porcheville ne résonnent qu’aux oreilles des connaisseurs du système carcéral français. Ces centres de détention ont ouvert leurs grilles à Tignous.
Assassiné le 7 janvier dans les locaux de "Charlie Hebdo", le dessinateur avait sur sa planche le travail de semaines de reportage et de nombreux mois de travail. L’immersion dans le milieu pénitentiaire était "une évidence", selon sa compagne, Chloé Verlhac, qui a fait en sorte que ce travail ne soit pas perdu.
Primé en 2009 pour sa BD-documentaire-récit consacrée au procès d’Yvan Colonna ("Le Procès Colonna", Glénat), répondant de l’assassinat du préfet Erignac, Tignous accordait une importance particulière à la nécessité de rendre compte, celle de montrer ce que l’on ne voit pas.
Et s’il est un endroit où l’on ne voit pas ce qu’il se passe, principalement d’ailleurs parce que l’on ne veut le savoir, c’est bien la prison.
Le sort des personnes condamnées, ou en attente de jugement, est une réalité dont la majorité des gens préfère se détourner. Car s’y pencher comme l’a fait Tignous, c’est-à-dire sans a priori, c’est prendre le risque de découvrir une humanité qui peut se révéler gênante par rapport à la conviction de la nécessité d’enfermement. Car avant ce qui fait, ne fût-ce que temporairement, office de terminus, il y a eu un parcours. Tignous raconte ceux-ci, sans condamner et sans excuser. Quelques phrases, autour d’un dessin circonstancié, suffisent pour expédier le lecteur dans une réflexion, pas nécessairement empathique, sur le sort des détenus et détenues rencontré(e)s au cours de ce reportage aux quatre coins de la France pénitentiaire. Ainsi, "La prison, c’est ma deuxième famille" ou "Je m’en voudrai toute ma vie de ce que j’ai fait. Après ma tentative de suicide, les surveillantes m’ont dit "Pensez à vos enfants" dépeignent autant de vies à l’arrêt.
"Le cannabis passe dans les cheveux", "Celui qui a braqué une petite vieille se sent supérieur à celui qui a commis un viol, c’est de la noblesse à deux balles", relatent le quotidien en alerte permanente des gardiens qui, bien qu’ils en sortent une fois leur service achevé, passent le plus clair de leur temps confinés en dehors du monde.
Eclairant, le reportage de Tignous a tout pour susciter le débat sur les mérites et les lacunes des politiques pénales. La ministre de la Justice française, Christiane Taubira, qui préface l’album, semble confirmer la complexité observée par Tignous. Mais de là à se lancer dans un processus de réforme plus complexe encore…
Murs… murs. La vie plus forte que les barreaux, Tignous, Glénat, 120 pp., env. 25 €
