Le cochon tueur du Roi
On adore les livres de l’historien Michel Pastoureau. Il n’a pas son pareil pour mêler à un rigoureux travail scientifique, le sens de l’anecdote éclairante et du récit. Il fait ici remonter les emblèmes de la France à un cochon.
Publié le 21-12-2015 à 14h18 - Mis à jour le 21-12-2015 à 14h19
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Michel Pastoureau fait remonter les emblèmes de la France à un cochon.On adore les livres de l’historien Michel Pastoureau. Il n’a pas son pareil pour mêler à un rigoureux travail scientifique, le sens de l’anecdote éclairante et du récit. Dans ses nombreux ouvrages, il a défriché des pans méconnus de l’Histoire : celle des couleurs, l’histoire des animaux, celle des symboles. Dans son dernier livre, "Le roi tué par un cochon", il utilise ses trois spécialités pour nous faire passer un délicieux et riche moment.
Le livre part d’un accident en apparence anodin mais qui a eu des conséquences énormes. Le 13 octobre 1131, le jeune roi Philippe, 15 ans, fils ainé de Louis VI, rentrait de la chasse avec quelques amis. A cette époque, le dauphin désigné pour succéder à son père sur le trône de France était déjà sacré roi. Il y avait donc deux rois.
Dans une ruelle, un cochon comme il en rôdait beaucoup dans les rues de Paris, percuta son cheval et le Roi fut précipité à terre, heurtant de la tête une pierre et mourut peu après. Le cochon girovague (errant) était devenu régicide.
La stupéfaction fut grande jusqu’aux confins de l’Europe. Le père était inconsolable, l’ordre de succession bouleversé. Le Pape Innocent II vint en personne à la cathédrale de Reims, 12 jours plus tard, pour sacrer comme dauphin officiel et déjà Roi, le second fils de Louis VI. Il fallait bien le Pape pour tenter de réparer l’offense. Car cette mort c’était l’infamie pour la France, la honte, la souillure. Ce cochon ne peut être que le diable, un "porcus diabolicus".
A partir de là, Michel Pastoureau se livre à des analyses vertigineuses. Il rappelle l’interdit puissant sur le cochon dans de nombreuses religions et pays, et donc l’horreur qu’un cochon pût tuer un roi.
On ne connaît pas bien la raison de cet interdit. La plus probable étant la proximité étonnante du cochon avec l’homme : même organes, même fonctionnement, jusqu’au même goût de la chair comme l’ont expliqué les survivants d’un accident d’avion dans les Andes, obligés de manger les cadavres pour survivre. Ce serait l’interdit de l’anthropophagie.
Le jeune Royaume de France en est chamboulé et Michel Pastoureau en explique les rouages saisissants. Le père, Louis VI, pour réparer la souillure, se lança dans une croisade qui fut catastrophique.
Son successeur, son fils puîné, mal préparé, très pieux mais pas malin, Louis VII, eut un très long règne de 43 ans. La croisade de son père ayant échoué lamentablement en un fiasco monumental, Louis VII eut alors un coup de génie : réparer la souillure du porc infâme en consacrant la France toute entière à la Vierge, très célébrée durant ce siècle.
Deux hommes le conseillaient et le poussèrent en ce sens, deux hommes essentiels de l’histoire de France : l’évêque Suger, qui fit de la cathédrale de Saint-Denis, tombeau des rois, la plus belle et riche de France, et Bernard de Clairvaux (saint Bernard).
A leur instigation, le Roi choisit la couleur bleue alors peu prisée et la fleur de lis comme symbole pour la France, les armoiries seront "d’azur semé de fleurs de lis d’or". Tout le monde aujourd’hui les connaît et elles évoquent immédiatement la France, mais personne n’est sûr de leur origine. L’hypothèse avancée par Michel Pastoureau a beau être étonnante (réparer l’infamie causée par un cocon), elle est vraisemblable.
Le lis est la fleur virginale, la plus belle et la plus pure. Le bleu est celui du ciel. La France innovait fortement dans le concert des nations. Les autres royaumes choisissaient toujours le rouge guerrier et les emblèmes agressifs du lion ou de l’ours.
Le roi tué par un cochon Michel Pastoureau Seuil 340 pp., env. 21 €