Dix romans sans Prix, à lire sans hésitation
Les grands prix littéraires d'automne ont été décernés il y a peu. À côté des Goncourt, Medicis, Renaudot et consorts, d'autres romans méritent d'exister. Petite sélection assurément subjective de quelques titres (5 français et 5 étrangers) à découvrir avant la rentrée d'hiver.
Publié le 22-12-2015 à 19h35 - Mis à jour le 22-12-2015 à 19h39
Les grands prix littéraires d'automne ont été décernés il y a peu. À côté des Goncourt, Medicis, Renaudot et consorts, d'autres romans méritent d'exister. Petite sélection assurément subjective de quelques titres (5 français et 5 étrangers) à découvrir avant la rentrée d'hiver.
La première femme nue
Christophe Bouquerel, Actes Sud, 1200 pp., env. 27 €
On la connaît par “Phryné devant l’Aréopage”, mythique tableau peint en 1861 par Jean-Léon Gérôme, conservé au musée des Beaux-Arts de Hambourg. Mais qui était Phryné, l’“hétaïre la plus scandaleuse d’Athènes” à “la beauté du diable” ? Ainsi du moins flambe-t-elle dans le roman initiatique que lui consacre l’helléniste Christophe Bouquerel. Un monologue étourdissant, écrit dans une langue ciselée, d’un lyrisme à la Hortense Dufour, à la Véronique Bergen. On y suit le chemin parcouru par celle qui, au IVe siècle av. J.-C., fut le modèle et la maîtresse du plus grand sculpteur de son temps, Praxitèle. Un saisissant portrait de femme/flamme.
Le principe
Jérôme Ferrari, Actes Sud, 164 pp., env. 16,50 € “Le Principe” est un roman magnifique où on retrouve la langue somptueuse de Jérôme Ferrari, ses longues phrases proustiennes, à la fois très précises et poétiques. Le fil de ce livre est vertigineux puisque le héros en est la mécanique quantique et son fondateur, Werner Heisenberg, le père du “Principe d’incertitude”. Mais qu’on se rassure, c’est un roman et, de plus, très accessible. Jérôme Ferrari applique en quelque sorte ce principe d’incertitude à la vie même d’Heisenberg dont il restitue les grandes étapes comme des éléments discontinus mais historiquement exacts.
Ce pays qui te ressemble
Tobie Nathan, Stock, 540 pp., env. 22,50 €
De l’ethnopsychiatre Tobie Nathan, nous avions déjà eu l’intime bonheur de découvrir l’un ou l’autre joyau, et l’on pense ici singulièrement à “Ethno-Roman” (2012, prix Femina de l’essai), qui nous avait merveilleusement conquis. Cette fois, dans “Ce pays qui te ressemble”, l’enfant du Caire (10 novembre 1948), né de parents juifs d’origine italienne, s’attache à cerner et à décrire une civilisation, celle qu’il connut jusqu’en 1957 en Egypte, fille du soleil comme on sait, et s’inscrit dans le registre inimitable de la fresque orientale la plus truculente.
La maladroite
Alexandre Seurat, Le Rouergue, 121 pp., env. 13,80 €
Un procès tragique a inspiré à Alexandre Seurat son très brûlant premier livre. Criant d’une insupportable vérité, on y trouve évoqué le destin d’une petite fille maltraitée par ses parents sans que personne n’ait pu ou voulu intervenir. Tout disait les souffrances de l’enfant qui, contre l’évidence, assurait que tout allait bien. Les parents donnaient le change : la petite était maladroite. Perplexes, ceux qui auraient pu aider ont laissé agir les circonstances. Jusqu’à trop tard. Comment et jusqu’où intervenir ? La question, inconfortable, est posée à chacun en mots simples.
Profession du père
Sorj Chalandon, Grasset, 318 pp., env. 19 €
Sorj Chalandon explore la perversité possible d’une relation parent-enfant. Un roman puissant, terrible, qu’on lit d’une traite, basé sur l’histoire même de l’écrivain à qui son père vola littéralement l’enfance, la transformant en enfer. Un père manipulateur, mythomane et pervers qui fait de son fils, Emile, son souffre-douleur, et son espoir. Chalandon raconte cette enfance et c’est presque insoutenable de lire cette violence du père continuer de page en page, sans répit. Le père est en réalité un grand malade, un psychotique grave.
Plus haut que la mer
Francesca Melandri, traduit de l’italien par Danièle Valin, Gallimard, 203 pp., env. 17,90 €
L’île d’Asinara, au large de la Sardaigne, est un parc maritime paradisiaque. L’endroit a longtemps abrité un établissement carcéral à régime spécial accueillant les prisonniers politiques italiens. C’est dans une île inspirée de ce lieu que Francesca Melandri situe son deuxième roman. Nous sommes en 1979. En vingt-quatre heures, les vies de trois êtres qui n’avaient rien en commun vont se trouver changées et liées à jamais. Une tempête empêche le retour d’une épouse et d’un père de prisonniers, qu’un agent pénitentiaire va prendre en charge. La nuit va réunir ces êtres que rapproche l’expérience de la solitude et de la stigmatisation. Un roman de convictions qui emporte le lecteur plus loin qu’il ne l’imagine.
Lila
Marilynne Robinson, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Simon Baril, Actes Sud, 357 pp., env. 22,80 €
“Lila” vient clore une trilogie entamée avec “Gilead” et “Chez nous”. Ancré dans la même communauté rurale de Gilead (Iowa), ce dernier volet s’inscrit chronologiquement avant “Gilead”. Entre deux âmes meurtries – une jeune femme qui n’a connu que la pauverté, l’épuisement et la faim et un révérend qui a déjà enterré sa femme et leur jeune enfant – va naître un lien indéfectible. Avec une sensibilité peu commune, Marilynne Robinson orchestre la rencontre entre deux solitudes et deux mystères sous le sceau de la dignité et de l’humanité. Un roman étourdissant d’intensité dans son écriture comme dans son propos.
Guerre et térébenthine
Stefan Hertmans, traduit du néerlandais par Isabelle Rosselin, Gallimard, 402 pp., env. 25 €
Un des grands romans de la littérature flamande contemporaine. Il raconte la vie du grand-père de Stefan Hertmans, Urbain Martien. Il y a d’abord la vie d’avant 1914, une vie de pauvres à Gand. Puis, on lit le récit terrible de la guerre 14-18 en Belgique vu à travers l’expérience de cet homme. On a rarement lu un récit aussi saisissant. Tout un monde s’effondrait, celui des idéaux, des illusions. La grande Histoire et la saga intime se mêlent dans le tragique du siècle. Un livre très émouvant qui parle aussi de la tendresse humaine et de la transcendance.
Neverhome
Laird Hunt, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anne-Laure Testut, Actes Sud, 262 pp., env. 22 €
Parce qu’il est plus faible qu’elle, une femme rejoint les rangs des Confédérés à la place de son époux. Plus rusée que la plupart des soldats, elle doit veiller à ne pas se faire démasquer. Inspiré de faits réels, “Neverhome” retrace le parcours de Constance, de sa participation au combat au retour dans sa ferme de l’Indiana, blessée, guidée par l’amour pour son mari. Au-delà des émotions, des péripéties de la guerre et d’une belle part d’inattendu, flirtant parfois avec les limites du réel, l’écriture sensuelle de Laird Hunt déploie des odeurs et des couleurs, ainsi qu’une grande proximité avec la nature. Où découvrir une autre facette de l’Amérique.
L’intérêt de l’enfant
Ian McEwan, traduit de l’anglais par France Camus-Pichon, Gallimard, 240 pp., env. 18 €
Loin des discours et des théories, le dernier roman de Ian McEwan interroge avec acuité le rôle de la justice dans la marche de nos vies. Juge aux affaires familiales, Fiona Maye est une magistrate respectée confrontée au cas délicat d’un jeune homme en danger de mort à cause de sa fidélité aux préceptes des témoins de Jéhovah. Les médecins s’en sont remis à la cour, qui doit statuer : le sauver contre sa volonté ou le laisser mourir dans des souffrances qui pourraient être terribles ? Culture, identité, aspirations, concepts fondamentaux, loyauté, incertitude de l’avenir : Ian McEwan nous pousse à une vertigineuse réflexion.