La Bible sous le regard du XXIe siècle
Deux livres d’envergure sortent en cette fin d’année. Croisant les approches, ils réinterrogent les textes bibliques. Ils témoignent aussi des multiples regards avec lesquels on peut les approcher.
Publié le 25-12-2015 à 15h56 - Mis à jour le 25-12-2015 à 16h30
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Deux livres d’envergure sortent en cette fin d’année. Croisant les approches, ils réinterrogent les textes bibliques. Ils témoignent aussi des multiples regards avec lesquels on peut les approcher.
Entre foi et raison
Littéraires, religieux, inspirés par l’Esprit saint diront les chrétiens, les textes bibliques demeurent écrits par des humains et témoignent de leur humanité. C’est en ce sens qu’ils sont donc à interpréter à la croisée des regards, ceux des théologiens, des croyants, des agnostiques ou des athées, des exégètes, des scientifiques ou des historiens. "Une interprétation juste" des textes bibliques, expliquait le pape Benoît XVI, "requiert deux étapes. D’abord, il faut se demander ce qu’ont voulu dire, à leur époque, les auteurs de ces textes. Mais il ne faut pas laisser le texte dans le passé, en l’archivant parmi les événements arrivés il y a longtemps. La seconde question doit être : ‘Ce qui est dit est-il vrai ? Cela me regarde-t-il ? Et si cela me regarde, de quelle façon ?’"
Chacun à leur manière, celle de l’écrivain et celle de l’historien, c’est ce qu’ont réalisé Christine Pedotti et Jean-Christian Petitfils dans deux ouvrages très différents sortis en cette fin d’année. Croisant des démarches scientifiques, artistiques et historiques à une approche propre aux croyants, c’est un chemin entre foi et raison qu’ils ont tenté de tracer.
"L’Ancien Testament est un médicament contre l’idolâtrie"
Christine Pedotti, auteure, journaliste, éditrice, est sans doute avant tout une conteuse. Passionnée par la transmission, c’est pour mieux faire découvrir l’Ancien Testament qu’elle a tenu à raconter la Bible. Sans chercher à la romancer, elle révèle plutôt "les passions humaines qui s’y déploient", mais aussi le Dieu qui s’y présente, ou qui s’y "échappe". Passionnant.
En tant que quoi avez-vous pris la plume ? En tant que croyante, théologienne, romancière ?
En tant qu’écrivain. Ce livre est un hommage aux écrivains qui m’ont précédée, car la Bible est d’abord un acte littéraire. Ces écrivains ont raconté des histoires en élaborant des scénarios, ils ont donné de l’épaisseur à leurs personnages, et je tenais en quelque sorte à les rencontrer de manière littéraire. Ce livre est donc surtout un hommage qui leur est rendu.
Votre souhait est également d’amener les lecteurs à lire l’Ancien Testament. On ne le lit plus assez ?
C’est un texte difficile et compliqué qui ressemble à un gros feuilletage de traditions. C’est une sorte de forêt vierge, et j’essaye d’y donner quelques coups de machette pour ouvrir le chemin, découvrir le texte et en admirer le paysage. Tout ce que j’ai écrit est dans la Bible, mais j’ai élagué certains passages et déployés d’autres aspects parfois trop implicites et que le lecteur contemporain ne pouvait plus discerner. C’est en ce sens également que j’ai travaillé plus en tant qu’écrivain que romancière. En quelque sorte, mon texte prépare à entendre quelque chose.
Le Dieu que vous y présentez est un Dieu fuyant qui ne peut être une idole dites-vous.
C’est en cela que la Bible est troublante. Le Dieu qui y est présenté est un Dieu qui n’est pas dans les nuages, qui descend sur la terre, qui est dans le Buisson ardent, qui disputaille pied à pied avec ses héros. Mais pour autant la Bible est un médicament contre l’idolâtrie. Car Dieu ne se laisse pas enfermer. Il n’est jamais là où on voudrait qu’il soit. Il nous déroute. Le psaume fait dire à Dieu " mes pensées ne sont pas vos pensées, mes chemins ne sont pas vos chemins car je suis Dieu et non pas homme ". Dans ses côtés presque trop humains, il échappe à notre envie de le poser sur un piédestal. A peine l’y aurait-on posé que déjà il n’y est plus.
"Le christianisme est une religion d’historiens"
Une quête et une enquête." Voilà comment Jean-Christian Petitfils qualifie son "Dictionnaire amoureux de Jésus". Le travail qui y fut le sien, explique-t-il, fut autant celui d’un historien (ce pour quoi Jean-Christian Petitfils est un auteur connu et reconnu) que celui d’un croyant. Et c’est en cela également que cet ouvrage érudit porte le témoignage d’une "démarche intime". "D’une démarche qui engage l’être entier, qui mobilise ses émotions les plus profondes, et pour laquelle le mot amoureux prend sa pleine dimension, puisqu’il se mesure à la transcendance", précise l’auteur.
Un dictionnaire de terrain
"Après plusieurs ouvrages, notamment consacrés aux rois de France", raconte Jean-Christian Petitfils, "j’ai approché avec une méthode historique le personnage de Jésus. Mais l’historien s’arrête à certaines bornes. Il ne peut pas dire si les miracles ou même la résurrection sont authentiques par exemple. Il bute sur un mystère, le mystère même de la personne de Jésus. Ainsi, comment se fait-il qu’un petit ouvrier du bois de Nazareth ait pu dire ‘qui me voit, voit mon père’, ‘Moïse a dit, je vous dis…’, ou puisse pardonner les péchés, ce qui était un scandale à l’époque ? Cette fois, du coup, à travers cette promenade que m’offre un dictionnaire amoureux, je mêle la voix de l’historien et la voix du croyant."
Et la balade est passionnante. D’une plume sobre mais enthousiaste, Jean-Christian Petitfils emmène son lecteur sur le terrain. On parcourt la Galilée, l’histoire de la théologie et celle des fouilles archéologiques. On retrouve la terre que les apôtres auront parcourue en tous sens, à la hâte souvent, impressionnés et retournés qu’ils étaient par une rencontre avec un fils de charpentier. Jean-Christian Petitfils semble pouvoir se servir de tout ; de ses souvenirs, de ses passions, de ses lectures, de ses découvertes, de son regard, de toutes les polémiques aussi, même des plus classiques (Marie était-elle vierge ? Qui était Marie-Madeleine ? Jésus avait-il des frères et des sœurs ?), pour les éclairer de son double regard.
Sans jamais mettre la main sur la personne de Jésus (le compliment lui avait déjà été rendu pour son dernier opus), Jean-Christian Petitfils se contente de la sincérité pour le présenter, tout en respectant l’historien comme le croyant, ou le non-croyant. C’est une des grandes qualités du livre.
Des quêtes infinies
Cette démarche, espère encore l’auteur, ne pourra qu’encourager le croyant à entreprendre cette enquête historique. "Le christianisme est une religion d’historiens. C’est une véritable histoire, répétait Benoît XVI, et il faut utiliser les méthodes de la recherche scientifique pour essayer de comprendre cette histoire. Le christianisme est aussi la religion de l’incarnation, et il est donc très important de s’assurer des sources et de l’authenticité de tel ou tel passage."
Sur le fond, Jean-Christian Petitfils s’appuie sur les quatre Evangiles "avec une prédilection, en tant qu’historien, pour celui de saint Jean qui fut un des témoins directs de la vie de Jésus. Jean ne s’attarde pas énormément sur les détails historiques, il ouvre rapidement ses écrits à la dimension théologique, mais tous les détails qu’il offre ont été corroborés par les recherches historiques et archéologiques".
Il reste cependant les trous, les inconnues (qu’en est-il de la jeunesse du Christ ?) et les mystères (pour autant que cela soit vrai, quand Jésus aurait-il pris conscience de sa divinité, à quel âge, comment ?). Mais c’est là sans doute que les deux démarches, celle du croyant et celle de l’historien, se rejoignent, l’une comme l’autre étant par essence infinies et toujours imparfaites.
Chez Jean-Christian Petitfils, les deux démarches semblent également se compléter et se nourrir. C’est en cela aussi que cette quête et cette enquête offrent une cohérence à un dictionnaire profondément amoureux.
"La Bible racontée comme un roman", Christine Pedotti, XO éditions, 352 pp., env. 20 euros. "Dictionnaire amoureux de Jésus", Jean-Christian Petitfils, Plon, 753 pp., env. 28 euros.