L’énigmatique Morris
Pour les 70 ans de Lucky Luke, Morris se décline en expo et dans un beau livre.
Publié le 04-01-2016 à 21h37 - Mis à jour le 05-01-2016 à 06h57
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Avec 300 millions d’albums vendus dans le monde et traduits en 29 langues, Lucky Luke est une des grandes stars de la bande dessinée franco-belge. C’est en décembre 1946 que le cow-boy solitaire imaginé par Morris a fait ses premiers dans "L’Almanach Spirou". Depuis, c’est le succès. Le septantième anniversaire du héros sera célébré en grande pompe dès ce mois de janvier avec l’ouverture à Angoulême d’une grande rétrospective consacrée à l’œuvre de son auteur. Celle-ci s’accompagne d’un impressionnant ouvrage de 300 pages décryptant l’art de Morris. Un livre précieux car il en existe peu au regard de l’impressionnante bibliographie consacrée à ses pairs tels Hergé, Franquin et consorts.
Boudé par la critique, absent des salles de vente où ses originaux sont très rares, Maurice De Bevere de son vrai nom est pourtant une personnalité très singulière du monde de la bande dessinée. C’est un des rares auteurs, si pas le seul, précisent les commissaires de l’exposition, à s’être quasi exclusivement consacré à une seule série : Lucky Luke. "Une fois qu’il a fini une sorte d’apprentissage lors duquel il a passé plusieurs années à faire plusieurs choses en même temps, il se met au service d’une œuvre et n’en bougera plus. A partir de 1950-1955, il va sortir deux albums par an et il ne s’arrêtera plus", souligne Jean-Pierre Mercier, conseiller scientifique de la Cité internationale de la Bande Dessinée et de l’Image à Angoulême.
Autre particularité de Morris : sa passion pour l’Amérique. Aux yeux de Stéphane Beaujean, commissaire de l’exposition et responsable artistique du Festival d’Angoulême, "il est le premier auteur européen à intégrer une approche créative américaine. C’est quelqu’un qui ne dessine pas la case mais qui dessine la page. C’est le seul à l’époque - avec Hergé - à envisager d’écrire sur une page comme les Américains qui ne font que ça. C’est le premier auteur européen à avoir intégré dans une sorte d’univers franco-belge des codes et des philosophies d’écriture qui ne sont pas franchement européens."
Leçon d’efficacité
Avec Morris, il y a un mot d’ordre : la simplicité. Un style très synthétique qui fascine Jean-Pierre Mercier pour qui il s’agit d’une véritable leçon d’efficacité. Tout est au service de la narration, de l’histoire racontée. Il s’agit de "dire le maximum avec le minimum", précise-t-il. "Son travail révèle quelqu’un qui se met vraiment au service de ce qu’il fait parce qu’il a une mission et qu’il veut la réussir le mieux possible", ajoute Stéphane Beaujean. "Le mystère de Morris, c’est quelqu’un qui avait un projet, qui s’est totalement soumis à ce projet, qui a accepté en grande partie l’ennui, la répétition, l’oubli de sa propre personnalité. Il n’y a pas d’ego chez lui. Et le fait de s’oublier à ce point n’est presque pas acceptable pour un artiste."
Assurément, Morris a été un ovni dans l’univers de la BD. Au point de dérouter ses pairs, soulignent Jean-Pierre Mercier et Stéphane Beaujean. "Dans sa bande dessinée, il montre qu’il était probablement très en avance sur ses collaborateurs, notamment sur la sémiologie. Il avait une part structurelle très prononcée." Uderzo disait de lui que "c’était un martien", qu’il ne le comprenait pas.Charles Van Dievort et B.Bn
"L’Art de Morris", Dargaud, 312 pages, environ 45 euros.
L’exposition
La grande rétrospective consacrée à l’œuvre de Morris ouvrira ses portes le 28 janvier à l’occasion de la 43e édition du Festival international de la bande dessinée organisé à Angoulême du 28 au 31 janvier. Elle permettra de découvrir plus de 150 planches et dessins originaux de Morris. La plupart de ces documents n’ont jamais été montrés au public. D’une part parce que Morris, de son vivant, refusait que ses originaux soient exposés. D’autre part parce que certaines de ces planches accusent leur âge et sont devenues très fragiles. C’est pourquoi l’ensemble de ce qui sera présenté dans l’exposition à Angoulême a aussi été numérisé de la façon la plus fidèle qui soit. Les œuvres les plus sensibles seront progressivement remplacées par ces "scans" et ce sont ceux-ci qui voyageront lorsque l’exposition tournera à l’étranger, ont précisé les commissaires Stéphane Beaujean et Jean-Pierre Mercier.
--> Du 28 janvier au 16 octobre, à la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image à Angoulême. France.